Comme dans l’écriture de roman, la fiction interactive et le livre dont vous êtes le héros ont leurs propres codes et structures ; il est intéressant de les connaître afin de pouvoir bien les utiliser et s’en affranchir si besoin. Je vous propose ainsi une introduction à ces différents modèles, avec un guide pratique sur la façon de les utiliser. 🙂

La dernière partie, consacré aux types de structures, est reprise du célèbre article sur les structures dans jeux à choix multiples de Sam Kabo Ashwell ; je vous invite à le lire si vous maîtrisez l’anglais, c’est une lecture de référence !

Qu’est-ce qu’une structure ?

Avant de s’attarder sur des exemples, je vous propose une définition générale : une structure dans le cadre d’une fiction interactive est un archétype d’organisation des embranchements d’une histoire, ou d’une partie de l’histoire.

On la représente principalement sous la forme de flow chart, ou organigramme en français.

Exemple de projet Twine, avec l'arborescence apparente.

C’est exactement ce que vous pouvez visualiser facilement avec Twine, un très bon logiciel que l’on vous conseille si vous voulez mettre un pied simplement dans la création de fiction interactive. 🙂

Chaque embranchement est provoqué par une condition :

  • La joueur a cliqué sur un lien ou tapé une commande qui fait avancer l’histoire. C’est sûrement la manière la plus commune pour accéder aux différentes branches de l’intrigue !
  • Une ou plusieurs variables ont une certaine valeur. Avez-vous gagné ce combat avec votre rapière ? Ce personnage vous apprécie-t-il ou ne serait-il pas fâché de votre mort ? Toutes ces infos regroupent ce que le joueur ne contrôle pas sur le moment, et où on utilise des informations sur les événements passés et parfois du hasard. Gardez ce concept en tête, on aimerait y revenir dans un futur article !

Pourquoi et quand utiliser une structure ?

C’est une partie qui me tenait à cœur d’aborder, car peu d’articles rentrent dans le concret : comment ça se passe l’écriture avec une structure ?

En premier lieu, de mon expérience, on ne peut pas séparer complètement le choix de la structure et l’histoire. Ce que j’entends par là, c’est que souvent c’est un procédé organique : nous le verrons, la structure a un incidence sur le ressenti du joueur. L’idéal est qu’elle s’entre-nourrit avec l’histoire pour créer une expérience cohérente.

Si c’est un peu abstrait, pas d’inquiétude ! Avec l’expérience, cette réflexion devient plus naturelle. Il peut être compliqué de penser avec ces concepts lorsque’on vient de la prose, par exemple, mais c’est tout à fait naturel !

Utiliser et théoriser les structure a plusieurs avantages :

  • Cela permet de structurer ses idées, de les canaliser quand on est un peu perdu par la somme de ces idées ; la structure a également une incidence directe sur le budget du jeu si vous faites un projet commercial !
  • Communiquer plus facilement avec une équipe ou d’autres auteurs : c’est toujours mieux d’avoir un vocabulaire commun !
  • Ouvrir vos chakras à de nouvelles possibilités et manières de faire. Dans ce sens, n’hésitez pas à analyser d’autres fictions interactives que vous trouvez pertinentes.

Les structures peuvent vous aider à planifier un histoire dans ses grandes lignes mais aussi de courtes séquences comme une quête ou un dialogue. Néanmoins, souvenez vous d’une chose :

Faire des schémas n’écrira pas l’histoire à votre place ! Il est toujours bon de partir d’une idée générale de l’histoire avant d’y réfléchir. Même si vous aurez de nouvelles idées et une structure approuvée par le temps, il n’y a rien de magique !

Et enfin, pour conclure cette partie, si ces structures vous paraissent rigides et limitantes, souvenez-vous que ce ne sont que des outils ! Libre à vous de modifier, combiner et expérimenter avec ces formes basiques.

Les différents types de structures

Sortons les schémas et rentrons à présent dans le vif du sujet !

La time cave

Nommé d’après le livre dont vous êtes le héros The Cave of Time, cette structure est souvent la plus évidente lorsqu’on parle de fiction interactive. Lorsqu’un choix est fait, il change le reste du récit et bien sûr la fin obtenue. Mais ce qui caractérise une time cave, c’est que ces changements sont radicaux : tous les choix ou presque ont une importance égale sur la fin, ce qui crée un nombre de scénarios possibles exponentiel ; on peut très vite être submergé par tant de possibilités !

Exemple de structure de type « time cave ».


Pour le lecteur, la durée d’une partie est souvent très courte ; l’intérêt réside dans la rejouabilité. Mais même après quelques parties, le joueur n’aura vécu qu’une toute petite fraction des possibilités.

Si vous voulez une histoire courte qui appelle à la liberté, dans un monde où tout est possible, cette structure est adéquate.

Le tournoi (gauntlet)

Le mot « gauntlet » n’est pas facile à traduire : littéralement, il signifie « gantelet », mais aussi « duel » ou « affrontement ». Personnellement, je garde cette idée de gant comme moyen mnémotechnique : si vous vous trompez de route, vous ne pourrez pas aller plus loin !

Exemple de structure de type « tournoi ».

Contrairement à la time cave vue précédemment, il y a ici un seul chemin qui permettra d’atteindre une fin satisfaisante. Je dis satisfaisante car, si le joueur veut explorer un chemin alternatif, il verra son aventure interrompue par la mort (c’est le cas le plus classique), un passage anecdotique qui le renverra à l’embranchement précédent (un dialogue optionnel), voire, comble de frustration, un cul-de-sac (d’où il est impossible de terminer le jeu sans recharger une sauvegarde !).

Comme je l’ai dit, la frustration va être importante pour le lecteur quand il se rendra compte que ses actions sont limitées. Ici, le monde est retreint et l’avatar du joueur est faible, dans le sens où il a peu d’incidence sur l’histoire.

Afin de rendre l’expérience plus agréable pour le joueur, il est important de jauger la difficulté : si le bon choix est trop évident, c’est trop facile. Si le bon choix est totalement arbitraire, le joueur va crier à l’injustice.

Cette structure peut être adaptée à des histoires sombres, voire à de l’horreur, mais aussi à des histoires comiques et absurdes en fonction de la manière dont vous le tournez. C’est une structure très économique mais peu aimée.

Le goulot d’étranglement

Voilà une structure intéressante qui essaye d’offrir une certaine liberté tout en maintenant la charge de travail faible. Les choix branchent en différentes variations de l’histoire, mais ces lignes scénaristiques finissent par se rejoindre en un même point. C’est ce point-là qu’on appelle « goulot d’étranglement ». Les branches peuvent se rejoindre rapidement ou non, en fonction de l’échelle à laquelle vous travaillez.

Exemple de structure en « goulot d'étranglement ».

Attention, si les branches se rejoignent, ça ne veut pas dire que les choix n’ont pas de conséquences sur le long terme ; le jeu peut garder en mémoire les passages visités ! Ça se fait avec des variables, que le joueur peut voir (statistiques) ou non ; je vous renvoie à l’un de nos articles précédents pour les précisions.

C’est une structure très appréciée des créateurs, notamment dans l’industrie, car elle permet de ne pas partir dans tous les sens, tout en offrant au joueur la possibilité de personnaliser son aventure et d’y rejouer ; Choice of Games l’utilise beaucoup, par exemple !

Le monde ouvert

Les trois structures précédentes ont un point commun : les choix sont organisés de manière temporelle. Ce que j’entends par là, c’est que si vous suivez l’organigramme de gauche à droite, vous parcourez naturellement les événements dans l’ordre chronologique.

Ici, c’est différent, puisque les différents nœuds de notre FI sont « géographiques ». Plus concrètement, la majorité des choix sont destinés à déplacer votre avatar dans le monde.

Exemple de structure de type « monde ouvert »

C’est une structure que l’on peut très souvent voir dans les jeux à analyseur syntaxique, mais on peut faire un lien évident avec le jeu de rôle.

Bien sûr, les jeux utilisant cette structure ne se limitent pas à de l’exploration touristique. Il peut y avoir des dialogues, une histoire ou une quête qui progresse, mais ce n’est pas sa particularité première. Cette structure est plus appropriée pour la contemplation, les énigmes et la recherche d’indices.

Conclusion

D’autres structures plus complexes existent, bien entendu, mais nous aurons l’occasion d’explorer de nouvelles possibilités dans de futurs articles. C’est un sujet très vaste, mais j’espère que cette introduction vous aura aidé. 🙂

Pour aller plus loin, je vous rappelle que cet article a été grandement inspiré par celui de Sam Kabo Ashwell(en anglais).