L’écriture de fiction interactive est une activité qui fait appel à l’imagination et à la créativité à toutes les étapes de la conception. Cet article a pour but de présenter une manière simple et pratique de se représenter le processus créatif. Très généraliste, elle permet de surmonter un certain nombre de blocages récurrents.

Le processus créatif a toujours été une notion assez vague, faisant la part belle aux préjugés. On entend souvent que tel artiste a un don qui lui permet de réaliser des œuvres géniales. Pour créer, il suffirait donc de posséder ce don et d’attendre que l’idée du siècle nous vienne à l’esprit. Et ne parlons pas des artistes « maudits », ou de ceux qui devraient leur génie à une addiction !

Grâce au développement d’internet, ces préjugés sont peut-être un peu moins répandus aujourd’hui. Tout amateur, en effet, peut s’essayer à une game Jam, un concours d’écriture de fiction interactive, ou tout autre exercice de production d’une œuvre originale.

Mais, si l’on sait ce que la créativité n’est pas, sait-on bien ce qu’elle est ?

Comment définir la créativité ?

Depuis longtemps intéressé par toutes les formes d’expression artistique, que ça soit graphiques, textuelles, musicales ou vidéoludiques, j’ai longtemps été victime du manque d’information sur le sujet.

Par exemple, je chérissais bien trop mes idées car je voyais l’imagination comme une ressource limitée. C’est en fait tout le contraire ! La créativité est un processus qui s’auto-entretient et qui devient de plus en plus efficace avec la pratique.

Cela pourrait sembler être un faux problème, mais force est de constater que, lorsqu’on accorde trop de valeur à notre concept, il ne se concrétise jamais, faute de lui trouver un écrin à sa mesure.

Au final, la créativité n’est pas simplement la capacité à produire des idées originales. C’est surtout un processus qui nous permet, par des choix successifs, d’atteindre notre objectif : réaliser de bout en bout l’œuvre qu’on a rêvée.

La méthode des rôles créatifs

Ce que je souhaite partager avec vous ici est une méthode d’organisation du processus créatif basé sur quatre « rôles créatifs ». Proposée par l’auteur Roger von Oech dans son livre A Whack on the Side of the Head, elle permet de passer d’une créativité « instinctive », difficile à améliorer, à une méthodologie créative concrète dans laquelle on peut se perfectionner au fil du temps. La créativité, au même titre que la programmation ou l’écriture, est un métier et peut donc s’apprendre.

Cadre d’utilisation

Cette méthode est généraliste. Elle peut aussi bien s’appliquer à la conception d’une œuvre dans n’importe quel domaine, que dans la résolution de problèmes scientifiques ou la mise au point du plan marketing d’une entreprise.

En fiction interactive, elle peut s’appliquer à toutes les décisions que vous pouvez prendre pour votre histoire :

  • L’aspect technique (vais-je faire un jeu à parser ou un jeu à choix ? cela dépend notamment de l’intention et du public ciblé) ;
  • La structure de votre histoire ;
  • L’écriture (situations, personnages, rebondissements) ;
  • Les moyens de faire connaître votre travail (le choix des canaux de communication, le discours autour de votre FI).

Les quatre rôles

Le processus créatif peut se découper en quatre « rôles » qui peuvent être utilisés à différentes étapes de votre projet : l’explorateur, l’artiste, le juge et le guerrier.

L’explorateur

Pour aller au plus simple, c’est le rôle de recherche documentaire sur le sujet traité et tout ce qui peut sembler utile à la réalisation de l’objectif.

Mais ça ne s’arrête pas à une simple prise d’information factuelle. À cette étape, il faut être curieux, chercher des interconnexions entre les choses, essayer de comprendre comment elles pourraient fonctionner. L’explorateur se pose la question : « Pourquoi ? »

L’artiste

C’est celui qui cherche les idées, sans filtre. Ce rôle s’apparente à un brainstorming. À ce stade, toutes les idées sont bonnes, mêmes les plus absurdes. Il est très important de ne pas se sentir ridicule lorsqu’on propose une idée (surtout dans le cadre d’un travail en équipe où on a vite fait d’être jugé). Ce sont souvent les idées les plus saugrenues qui aboutissent aux résultats les plus intéressants.

Même si une idée n’est pas du tout utilisée, elle peut ouvrir la voie à des solutions plus pertinentes. L’artiste se pose la question : « Et si ? »

Le juge

C’est lui qui fait le tri dans les idées trouvées par l’artiste. Le but est d’évaluer les idées et de garder celles qui sont les plus pertinentes par rapport à l’objectif.

Lorsque j’ai découvert cette méthode, c’est ce point qui a été le plus profitable pour moi. J’étais souvent terrorisé à l’idée de prendre une décision pour mes projets (« choisir c’est renoncer » comme on dit). Endosser sciemment le rôle du juge m’a permis de travailler cet aspect et de surmonter mon blocage.

Si le terme « juge » pourrait faire penser à une sorte de voix de la raison, ce rôle n’est pas en reste au niveau de la fantaisie. En effet, le but n’est pas de sélectionner la solution la plus raisonnable, sinon un ordinateur pourrait prendre la décision à votre place. En tant que juge, vous devez prendre en compte l’originalité d’une idée autant que sa pertinence dans votre œuvre.

Le guerrier

C’est l’exécutant, celui qui écrit effectivement l’œuvre conçue par les trois rôles précédents. C’est principalement dans ce rôle que vous devrez lutter contre la procrastination, car c’est souvent la partie la moins intéressante pour l’artiste : il s’agit de concrétiser quelque chose que vous avez déjà en tête. C’est la partie laborieuse, indispensable pour que votre projet voit le jour. Je ne suis sans doute pas le seul à avoir imaginé plus d’histoires que je n’en ai effectivement écrit !

L’avantage, c’est que le guerrier vient après le juge, et il y a moins de risque pour qu’il se retrouve bloqué par une décision qui n’aurait pas été prise en amont.

Les quatre rôles ne sont bien entendu pas quatre personnes, mais une seule, vous, à différentes étapes de votre projet. L’ordre ci-dessus n’est pas anodin, mais il peut bien sûr s’établir des dialogues et aller-retour entre les différents rôles.

Il faut bien comprendre que ce processus n’est pas uniquement global à tout le projet. Chaque choix, chaque décision peut passer entre les mains de chacun des quatre protagonistes.

Bénéfices

Lorsque je parle autour de moi de méthode créative, on me rétorque souvent que, si c’est trop cadré, ce n’est plus de la créativité. Comme quoi, les préjugés ont la vie dure. Mais je pense que vous allez vite en comprendre les bénéfices :

  • Un processus complet, reproductible, que l’on peut apprendre et maîtriser, voire adapter à sa personnalité.
  • Travailler sur nos faiblesses en les ciblant plus facilement.
  • Arriver plus souvent au bout des projets (lutter contre la procrastination).

Conclusion

Peut-être utilisez vous instinctivement ces différents rôles dans votre processus créatif. Dans tous les cas, il me semblait intéressant de partager cette technique qui, pour ma part, m’a vraiment permis de débrider ma créativité et, surtout, de voir enfin se concrétiser certains de mes projets. J’espère que cet article, plutôt généraliste, pourra vous aider dans la réalisation de vos FI !