Je vous en ai parlé dans un précédent article, le logiciel Decker que vous pouvez retrouver ici, (à télécharger ou à utiliser en ligne directement) permet de créer du contenu original avec une esthétique rétro inspirée d’HyperCard, et d’outils créatifs “sans code” ou “à faible code” plus modernes tels que Twine et Bitsy.

Un gif animé illustrant l'utilisation de Decker pour créer un jeu.

J’ai posé quelques questions à John Earnest, qui est adorable et très réactif sur le forum itch.io de Decker et je transcris ici la traduction notre entretien.

Salut John, est-ce que tu pourrais me parler un peu de toi, de ton parcours, ce que tu fais dans la vie, et surtout quel est ton dinosaure préféré et pourquoi ?

Je suis un programmeur, un rédacteur technique et un artiste d’une trentaine d’années, vivant dans une petite ville du nord-ouest de l’État de Washington. J’ai deux diplômes en informatique, avec une spécialisation dans la conception de langages de programmation et l’optimisation de compilateurs. Actuellement, je suis entre deux emplois, je me concentre sur des projets créatifs comme Decker, je travaille dans mon jardin et je passe du temps avec mes animaux de compagnie.

Si je devais choisir mon dinosaure préféré, je choisirais peut-être le Compsognathus. Il ressemble à un poulet reptilien, mais il était probablement un peu plus dangereux.

J’ai cru comprendre que tu étais fasciné par les poules, qu’on retrouve dans certains tutoriels de Decker. Est-ce que ce sont les tiennes ? Si oui, comment s’appellent-elles, et pourrais-tu nous en dire plus à leur sujet ?

Mes poules Pippi et Galena sont les mascottes officieuses de Decker ; elles apparaissent toutes deux dans la documentation et Pippi figure sur la “carte secrète des poules”. Elles m’aident à prendre l’air entre les longues sessions sur mes ordinateurs. Ici, nous sommes assis ensemble dans mon jardin :

Les poules Pippi et Galena dans leur jardin.

Nous sommes un blog spécialisé dans la fiction interactive, je me dois donc de te demander si tu as déjà joué à ce genre de jeux, et si tu as en tête un jeu qui t’a marqué ?

Au fil des ans, j’ai joué à un certain nombre de fictions interactives basées sur des analyseurs syntaxiques. L’un des premiers jeux de ce type après Zork, et qui est encore très présent dans ma mémoire, c’est Babel de Ian Finley ; très atmosphérique, ça me rend encore nostalgique. Spider and Web d’Andrew Plotkin est un autre de mes préférés : un exemple parfait d’un jeu qui ne pourrait pas fonctionner aussi bien s’il était sur un autre support.

Une capture d'écran du début de la FI Spider and Web d'Andrew Plotkin.

Parlons maintenant un peu de Decker. Pourrais-tu me parler de la genèse du projet ?

Mon premier contact avec les ordinateurs s’est fait autour des Macs, et j’ai eu plusieurs rencontres avec HyperCard – et plus tard HyperStudio – pendant mes études primaires. J’ai également de bons souvenirs de jeux Flash à l’époque de NewGrounds.com, même s’il était frustrant de constater que le flux de créativité tendait à être à sens unique, des auteurs disposant d’outils coûteux et compliqués s’adressant à des consommateurs qui pouvaient jouer à ces jeux Flash sans pouvoir facilement créer leurs propres jeux.

Depuis un certain temps, je suis attristé par le fait que le contenu en ligne semble avoir abandonné le “multimédia” et l’interactivité au profit de sites axés sur le partage de textes statiques, d’images et de vidéos, malgré le fait que les navigateurs soient plus puissants et plus performants que jamais. Decker se veut un média interactif flexible qui combine les outils d’édition toujours accessibles d’HyperCard avec la facilité de distribution que Flash offre via le web, saupoudré de quelques contraintes créatives qui lui donnent une saveur et une texture bien particulière.

Est-ce que tu as une idée approximative du nombre d’utilisateurs qui ont utilisé/téléchargé l’outil ?

Itch.io m’indique qu’il y a eu 7366 téléchargements des versions binaires à ce jour. Je ne conserve pas de journaux ni n’utilise d’outils d’analyse sur mon site pour les versions web, mais j’estime prudemment qu’un ordre de grandeur plus élevé de personnes ont au moins essayé la partie tutoriel “visite guidée”.

Ce qui est marrant, c’est que je soupçonne que la grande majorité des personnes qui ont lancé Decker sur leur ordinateur ne l’ont pas réalisé ; WigglyPaint est un projet que j’ai crée dans Decker et qui compte près de 55 000 lectures dans le navigateur sur itch.io !

Le langage que tu utilises permet aux utilisateurs de se réapproprier Decker et de générer des widgets de leur propre invention. Est-ce que c’était important pour toi de rester dans un esprit très open source, communautaire, etc. ?

Exactement. Decker a été conçu dès le départ pour être bidouillable, extensible et complètement décentralisé. Je veux que ce soit un outil qui donne du pouvoir aux utilisateurs, et je pense que le fait d’être open source est une étape indispensable pour atteindre cet objectif. Bill Atkinson a décrit HyperCard comme un “jeu de construction logiciel” où chaque pile HyperCard peut être considérée comme une collection de pièces modulaires que d’autres utilisateurs peuvent réutiliser pour leurs propres projets. Je pense que les “contraptions” de Decker sont un bon exemple de la même philosophie.

Comment est-ce que tu décides de programmer de nouvelles fonctionnalités sur Decker ? S’agit-il de demandes de la part des utilisateurs, de choses qui te passe par la tête, ou est-ce que tu suis une méthodologie très spécifique décidée en amont ?

Mon principe directeur c’est de vérifier si ces ajouts sont vraiment utiles. Je construis beaucoup de petits projets avec Decker, certains publics, d’autres qui n’ont jamais quitté les limites de mon ordinateur. Une nouvelle fonctionnalité doit toujours être motivée par une variété d’exemples d’utilisation de cette fonctionnalité. Chaque fonctionnalité que j’ajoute peut augmenter la taille du moteur d’exécution web-decker, la charge de maintenance de Decker ou la complexité de l’apprentissage de l’utilisation de Decker. L’utilité de l’ajout doit justifier ces coûts. Et sinon je puise mes idées à droite à gauche, dans les commentaires des utilisateurs et dans des outils créatifs historiques ou contemporains similaires.

Quelles sont les évolutions à venir, et à un moment donné est-ce que tu pourras considérer que tu as atteint la version finale de Decker ?

Je pense que Decker possède toutes les grandes lignes de ce que j’avais prévu à l’origine. Il n’a pas fini d’évoluer, mais j’ai bon espoir que sa conception se “refroidisse” quelque peu, avec de moins en moins de changements radicaux au fil du temps. Le principal domaine qui nécessite encore du travail, c’est l’amélioration des possibilités d’ajouter de la musique et du son. Je suis en train de prototyper quelques idées qui tournent autour de quelque chose de similaire au format “Module” de l’Amiga (et peut-être même qui sera compatible), mais il me faudra encore un certain temps pour peaufiner tous les détails.

Regards,

-John

Propos recueillis par mail le 10 mars 2024