La semaine dernière étaient évoquées les fictions expérimentales à analyseur syntaxique. Cette fois nous allons voir ce qui se fait d’original du côté des fictions à choix multiples (souvent des jeux hypertextes réalisés avec Twine). La plupart de ces jeux sont en anglais, mais il y a des histoires en français dans le tas tout de même !

L’article précédent exprimait le fait que tout compte-rendu sur l’expérimental est par nature obsolète dès sa publication. C’est encore plus vrai pour les jeux Twine et consorts : une petite visite sur itch.io vous montrera à quel point cette scène est dynamique et productive. Et encore, je ne parlerai même pas des jeux Ren’Py qui pourtant auraient leur mot à dire. De ceux-ci, je vais juste citer Vincit par Nighten qui expérimente au niveau de l’écriture dans un exercice un peu oulipien (lien vers un article de l’auteur).

C’est parti, tentons l’impossible ! Ce qui suit sera forcément incomplet mais ce sera toujours un début. 🙂

Les petites innovations techniques

On commence en douceur avec des jeux qui se contentent de modifier un peu la façon d’interagir avec Twine. En couplant ça avec une esthétique soignée, on peut obtenir de vraies petites perles. Jetez-donc un œil à Even Cowgirls Bleed de Christine Love. Ambiance western flashy !

Dans cette catégorie, j’ajouterai ce qui fut peut-être le premier jeu Twine auquel j’ai joué : my father’s long, long legs par Michael Lutz, sorti en 2013. Ancien pour du Twine, mais déjà audacieux dans son utilisation de certains scripts. Il s’agit d’un jeu d’horreur à l’ambiance bien pesante, et dont je vous recommande chaudement la lecture si vous aimez les atmosphères à la Lovecraft.

Les jeux poétiques et/ou introspectifs

Pas forcément novateurs d’un point de vue technique, ces jeux tâchent en contrepartie de s’éloigner des structures narratives classiques pour proposer des textes interactifs de natures très diverses. Une liste en vrac :

  • Avec Tohu wa Bohu d’Alex Wesley Moore (réalisé avec Texture, plus rare que Twine).
  • Une bonne partie des jeux de B Minus Seven !
  • Le jeu Étude Circulár par Adam Black.
  • Ainsi que Fallen 落葉 Leaves par Adam Bredenberg et Danial Mohammed Khan-Yousufzai (composition de sonnet).
  • Puis smooch.click par Devon Guinn. Un simulateur de baiser, rien de moins !
  • Sans oublier bien sûr Le magicien en déraison par Otto Grimwald, proposé pour la Partim 500 de 2016. Un jeu aussi élégant que drôle dans lequel il vous faudra composer un poème servant en quelque sorte de clé.

Et alors, évidemment, en terme d’introspectif et d’expérimentations poussées, je suis obligé de citer séparément le site de Porpentine, une pionnière dans l’univers de Twine, et dont le site personnel est à lui tout seul un voyage en contrées sauvages ! C’est par là : http://slimedaughter.com/ (il n’y a pas que des jeux Twine mais c’est le cas de la majorité d’entre eux).

Les jeux à puzzles qui font du neuf avec du vieux !

Sans pouvoir trop en dire sans en perturber la découverte, disons que ces jeux explorent de nouveaux types d’énigmes, en se rapprochant des puzzles de fictions à analyseur syntaxique, tout en profitant des caractéristique du choix multiple. Vous pourrez notamment essayer Ürs (par Christopher Hayes et Daniel Talsky), qui, en plus d’être original en terme de game design, est aussi tout simplement magnifique visuellement parlant !

Dans la même veine : Lux par Agnieszka Trzaska, ainsi que The Axolotl Project par Samantha Vick.

Certains jeux vont encore plus loin dans cette fusion avec le parser, en passant par des interfaces mixtes très poussées. Pour ça, testez-donc l’excellent Detectiveland (par Robin Johnson) qui vous plongera sans faute dans l’univers des films noirs de détectives fauchés (jazz inclus). Vous y jouerez à la souris mais le rendu ressemble à ce que vous auriez pu taper dans un jeu Inform. Du même auteur, avec la même interface, mais un univers différent : Draculaland (je vous laisse deviner le thème).

La Disparition 🙂 😀 😮

Des jeux dans lesquels vous n’aurez pas à utiliser la lettre « e », ni même aucune lettre, ça existe !

Disons-le tout de suite : je parle ici de jeux dans lesquels vous ne vous exprimerez pas avec des phrases, mais avec des icônes (emojis et autres) :

  • 10pm, par litrouke, vous met dans la peau d’un enfant qui ne communique que par signes.
  • Known Unknowns, par Brendan Patrick Hennessy, mêle dialogues classiques avec emojis (phases alternées).
  • Un jeu français proposé par Yakkafo lors du concours 2019 utilise aussi ce principe ! Il s’intitule Le jour où la Terre dégusta. 🙂

Les jeux simulant un autre medium

Le « chat » en ligne

Ok, on dit plus vraiment « chat », mais on utilisait ce terme à l’époque d’un des jeux que je vais citer.

Peut-être avez-vous déjà entendu parler de Lifeline ? Un jeu de Dave Justus sorti en 2015. On y discute avec un Taylor, un aventurier qui a besoin de notre aide ! Et oui, pour une fois, on n’est pas dans la peau du personne qui bouge dans tous les sens et fait tout exploser, on incarne… pratiquement personne d’autre que soi-même, en fait. Vous recevez et envoyez des messages (parmi des listes pré-établies, tout de même) et devrez même parfois attendre un moment avant de pouvoir jouer la suite de l’histoire. En effet, si vous demandez à Taylor de réaliser une marche qui lui prendra plusieurs heures, ce n’est qu’une fois arrivera qu’il vous recontactera pour la suite ! (Vous recevrez alors une notification).

Ce jeu a connu un fier succès et a fait des émules (tant mieux !). Allez donc faire un tour du côté de Somewhere — The Vault Papers, un jeu du studio français Norseman Interactive sorti en 2018 qui vous placera au cœur d’une histoire d’espionnage. Cette fois, vous aiderez Cat, donneuse d’alerte dont la vie est en danger et qui a besoin de vous pour s’en sortir !

Toujours dans le style simulant une discussion, Emily is Away a aussi bien fait parler de lui. On y retrouve l’ambiance des sessions MSN du début des années 2000. 😉

Autre jeu du genre qui a bénéficié du soutien d’Arte, rien de moins, Enterre-moi, mon Amour, qui vous met cette fois dans la peau d’une syrienne fuyant son pays et gardant le contact avec son mari par SMS.

Les sites web

Envoyez un lien vers le jeu AlethiCorp de Simon Christiansen (fiche IFDB du jeu ici) à l’une de vos connaissances, sans expliquer de quoi il s’agit. Elle aura sans doute du mal à y voir un jeu… et pourtant 😉

Dans un style assez proche et simulant cette fois une interface de support informatique, Human Errors par Katherine Morayati.

Porpentine, citée plus haut, a aussi carrément réalisé un jeu à partir de Google Forms : All Your Time-Tossed Selves.

Les héritiers des livres-jeux et autres hybrides

Pas à la pointe de l’expérimental, ces jeux ont au moins le mérite de pousser Twine dans ses retranchements en intégrant des mécaniques calculées (souvent pour simuler du combat)

C’est le cas du jeu gagnant de notre concours en 2018, Hansel et Gretel — La Revanche par Corax (qui va très loin dans l’aspect tactique). Mais aussi d’un des jeux proposés au concours cette année par Hoper, pour le coup une adaptation directe qu’un Livre Dont Vous Êtes Le Héros déjà publié au format papier : Night City 2020.

Même s’il s’écarte des LDVELH, je serais tenté de placer aussi Seedship (par John Ayliff) dans cette catégorie, car il mélange narration et statistiques chiffres. L’idée est ici de contrôler le destin d’un vaisseau spatial de colonisation, en cherchant la planète qui saura accueillir de manière idéale votre millier d’êtres humains ! (Enfin, vous démarrez avec un millier d’être humains, en tout cas. 😉 )

Les fictions interactives en vidéo

Vous avez vu Bandersnatch ?

Pas parfait, mais sympa, non ?

Okay, alors par contre, même si c’est carrément expérimental de proposer ça sur une plate-forme grand public, on retrouve ce genre de formats dès les années 80, avec même une occurrence française : un jeu nommé 14 contre 1 (ou Frame Up), réalisé par Laurent Heynemann sous la direction de Claude Baboulin et de Christian Boudin. Pour plus d’infos, voici le scan d’un article du magazine Tilt. Bon, bien sûr, là on est sur du vieil expérimental. 😉 mais si vous avez plus d’informations sur ce jeu nous serions ravis d’en savoir plus !

Et puis… ?

Cette page est basée en grande partie sur des suggestions de MathBrush et d’Hugo. Merci aussi à GT400 sur le forum d’Abandonware France pour l’info à propos de 14 contre 1 (que j’avais découvert au hasard sur YouTube en revoyant l’émission Temps X du 14 mars 1987 😉 ).

Si vous avez d’autres jeux originaux à proposer, n’hésitez pas à me les communiquer et je les ajouterai à cet article (ou en rédigerai un nouveau). En attendant, bon jeu !