Cette année, c’est GavrocheGames qui est sorti vainqueur du concours, avec sa participation Entre le vin et le dessert. Nous nous sommes donc entretenus avec lui, pour en savoir plus à propos de son processus créatif et de ses futurs projets !


Peux-tu te présenter en quelques mots ? Comment as-tu découvert la fiction interactive ?

Je m’appelle Tristan, mais je suis maintenant connu sous le pseudo GavrocheGames sous lequel j’écris. J’ai tout d’abord fait des études de cinéma et aujourd’hui je veux rejoindre l’industrie du jeu vidéo en tant qu’auteur. J’ai toujours voulu raconter des histoires, mais il m’a fallu du temps avant de savoir comment ; maintenant il n’y a aucun doute, c’est par l’interactivité. J’ai un profil plus artistique que technique, je me considère comme un auteur plus que tout autre chose pour le moment.

J’ai découvert la fiction interactive il y a un bout de temps en flânant sur Internet à la recherche de jeux « différents » puis plus sérieusement en suivant le travail de FibreTigre il y a quelques années. Il conseille aux auteurs en herbe dans son podcast Qompétence de commencer par la fiction interactive pour ensuite faire du jeu vidéo, donc je me suis lancé.

Ta participation décrit un univers particulier et avec des éléments de jeu de rôle. Combien de temps t’a pris sa conception, quelles ont été tes inspirations ? As-tu rencontré des difficultés particulières ?

Ce fut un petit périple ! À la base, ce n’est pas ce jeu que je devais présenter pour le concours. Pendant plusieurs mois, j’ai développé un jeu-concept sur Moiki dans un univers de dark fantasy. Il s’agissait de proposer aux joueuses et aux joueurs un donjon de cent salles, toutes explorables dès le début du jeu. L’objectif était simple : comprendre et résoudre les nombreux mystères pour sortir de l’endroit grâce à une narration défragmentée et environnementale.

Au bout de trois mois de développement (environ 75 salles sur 100), j’ai commencé à lâcher. J’ai trouvé le jeu trop expérimental et je n’étais pas assez convaincu pour le présenter cette année. Pendant mes pauses de travail, je lisais quelques livres dont vous êtes le héros (Alice aux pays des cauchemars, Voyage en Osmanlie, le Royaume de la discorde) et ça me donnait très envie d’écrire de la fantasy avec un système de jeu de rôle, au point que je devais me retenir de lancer un nouveau projet sur Moiki.

J’ai fini par craquer et Entre le vin et le dessert est né. La démo a pris 3 mois à être développée. Le gameplay, lui, a émergé en une soirée, quand je me suis rendu compte que, même si je le voulais, un système de combat serait difficile à designer dans Moiki. J’ai alors réfléchi à interpréter les tests de jeu de rôle dans une fiction interactive. J’en ai conclu qu’un système de statistiques fixes, vu que Moiki ne peut pas créer d’aléatoire pour le moment, ferait l’affaire si je permettais une multitude de choix. Ces choix passent tout d’abord par une phase de création de personnage, ce qui est venu dynamiser la création, c’est un élément de jeu que j’adore personnellement et l’implémenter dans une fiction interactive, ça me plait énormément. C’est aussi une façon de rendre le jeu plus inclusif et c’est une valeur que je trouve fondamentale de nos jours.

Ensuite, j’ai entamé l’écriture de la bible du jeu question d’avoir une idée très précise d’où j’allais. Plusieurs choses sont venues naturellement comme des notes d’intention.

J’ai tout de suite voulu mettre un cadre non violent ou en tout cas qui n’encourage pas le combat frontal. Finalement, je me suis concentré sur les violences sociales, ce qui est limite pire qu’un système de combat. En même temps, de grandes thématiques qui me tiennent à cœur ont émergé : la lutte des classes, les masques sociaux que l’on porte au quotidien, les déviances du pouvoir, etc.

Il m’a semblé naturel de laisser la part belle à l’exploration et aux secrets, vu comment le manoir s’y prête bien. C’est ce qui me donne envie de jouer personnellement, découvrir un secret que d’autres joueurs ou joueuses n’ont peut-être pas vu ou tomber dans une suite d’embranchements unique qui semble construite pour moi.

Enfin, il était important pour moi que les joueur.euses puissent avoir la possibilité d’une relation poussée avec les personnages par un système de faction. Cette soirée, qui sert de cadre au jeu, est un lieu hostile, le terrain d’une guerre de factions mondaines, qui est tout à fait propice aux alliances et aux trahisons. C’est un système que l’ont voit trop peu dans la démo à mon goût et j’ai hâte d’en montrer davantage.

C’est toujours difficile de dire combien de temps prend la rédaction de la narration d’un jeu vu comme elle mute sans cesse. Encore aujourd’hui des arcs narratifs disparaissent, d’autres émergent au fur et à mesure du développement. Mais au bout d’un mois de travail, j’avais fixé les trois branches principales de l’histoire ainsi que certaines des fins.

Pour ce qui est de l’écriture, des jeux de rôle papier comme Vampire : La Mascarade et Kult : Divinité perdue m’ont beaucoup inspiré pour leur approche plus sociale que violente des situations et leur univers mystérieux. Il est évident qu’Aria, le jeu de rôle de FibreTigre, m’a beaucoup inspiré malgré moi dans l’aspect accessible de l’univers. Enfin, et question de faire toujours plus conventionnel, Disco Elysium du studio ZA/UM est la principale source d’inspiration de toutes mes productions tant c’est une œuvre qui m’a et me donne toujours autant l’envie d’écrire.

Je pense que le plus difficile dans le développement d’Entre le vin et le dessert, c’est l’équilibrage à l’échelle macro du jeu. Je veux que chaque personne puisse jouer à sa façon et tenter des choses dans le jeu sans sentir que son aventure est bâclée. Par exemple, je me suis rendu compte peu de temps avant la date limite du concours que j’avais laissé de côté les embranchements « force » du jeu dans la démo. J’ai donc dû adapter mon travail pour implanter plus de choix de ce type et c’est vite devenu un casse-tête.

Ta participation était une démo. Quels sont tes plans pour le jeu complet ? À quel point le concours t’a-t-il aidé à récupérer des avis, à trouver un public ?

Mon plan est avant tout de sortir le jeu dans moins d’un an. J’ai envie de sortir mon premier gros projet rapidement pour m’en servir comme d’une carte de visite représentant ce je sais faire en tant qu’auteur. Puis j’ai tellement d’histoires que j’aimerais vous faire jouer que je suis déjà pressé de la suite.

Pour ce qui est du contenu, je veux proposer deux autres branches narratives en plus de ce que vous avez pu jouer dans la démo. Ces nouveaux lieux et les nouveaux personnages qui les accompagnent vont vous faire vivre d’autres ambiances tout en donnant corps à l’intrigue principale que j’ai malheureusement à peine eu le temps d’effleurer dans la démo. Je dois finir l’arc jouable dans la démo et lier le tout pour que vos choix puissent véritablement changer le cours du récit. Je compte aussi implémenter de petites illustrations pour donner vie à l’univers du jeu.

Le concours a été une vraie mine d’or concernant les retours. Il y a eu les critiques individuelles de chaque votant, une discussion post-résultats avec les autres créateur.ices et deux sessions de stream par des membres de la communauté : Feldo et Doublure Stylo. Ça m’a permis de me rendre compte en conditions réelles des attentes du public : de ce qui fonctionne moins et au contraire ce qui plait beaucoup.

Le concours a aussi beaucoup mis en avant mon travail sur les réseaux sociaux, je sais maintenant que quelques personnes attendent le jeu final ainsi que mes prochaines productions et c’est un vrai boost quotidien pour travailler.

Tu es un grand utilisateur de Moiki (que tu as notamment utilisé pour ta participation de l’année dernière). Quels en sont les raisons ? As-tu essayé d’autres systèmes de création auparavant, sans pour autant avoir de déclic ?

Moiki est un outil formidable pour les auteurs et les autrices. Il permet d’écrire des histoires facilement tout en restant très graphique pour ne jamais nous perdre. Son interface est claire et ludique, ce qui manque aux autres moteurs d’après moi. J’ai pris tellement de plaisir dès mon premier usage de Moiki que je n’ai plus pu le lâcher. Puis il permet de faire un peu d’esthétique en jouant sur les couleurs et les polices d’écritures en deux clics. C’est cette fonctionnalité qui fait la différence pour moi. Je suis attaché à créer de la mise en scène dans mes productions, car c’est ce qui crée des moments marquants qui nous poussent à voir la suite.

J’ai essayé Twine et Ren’Py qui sont eux aussi très accessibles et des outils puissants, peut-être encore trop pour moi. Ce que j’aime aussi avec Moiki, c’est qu’il a des limites qui ne font que stimuler ma créativité. Je sais que je ne peux pas partir dans tous les sens et ça me permet de rester concentré sur l’essentiel : les choix. Puis c’est un outil qui évolue constamment avec un développeur très à l’écoute de sa communauté. J’ai l’impression que Moiki va permettre à beaucoup de faire leurs premières productions. Je veux encourager ça, en montrant qu’on peut faire des réalisations abouties avec ce nouveau moteur.

Il y a eu une grande diversité dans le concours, que ce soit dans les univers présentés ou par le côté technique. Est-ce que ça t’a donné envie d’essayer autre chose ? Pourquoi pas du parser par exemple ?

C’est certain qu’un jour ou l’autre je tenterai le parser. Ça me semble être un genre de jeu d’une autre ampleur en termes de développement et ça donne envie de s’y frotter rien que pour gagner en expérience. Je pense aussi à retenter Twine qui semble en accord avec ma façon de travailler avec un certain minimalisme qui me plait. Sinon, j’ai trouvé dans chaque production de cette année matière à inspiration, car chaque fiction a véritablement proposé des choses que je n’aurais pas forcément envisagées. J’espère sincèrement que l’on aura la chance d’avoir autant de diversité l’année prochaine !

Mis à part terminer ton jeu, d’autres projets ? Une participation l’année prochaine ou bien tu laisses la place à d’autres ?

Les projets non terminés commencent à s’accumuler de mon côté. Il y a le donjon aux cent pièces cité plus haut, la suite de Poussière d’asphalte dont l’univers est déjà écrit sur quelques jeux et qu’il ne manque plus qu’à développer, puis il y a une ribambelle de projets secrets que j’espère terminer avant d’en commencer de nouveaux. D’ailleurs, je peux déjà annoncer la sortie d’une fiction interactive dans le même univers que celui d’Entre le vin et le dessert prochainement. Le but est de vous faire patienter avec un jeu plus simple, tout en vous donnant des clefs de compréhension supplémentaires pour la sortie d’Entre le vin et le dessert. J’aime énormément travailler sur des univers étendus, c’est déjà ce que je fais avec les Chroniques d’OPERA, ma licence de science-fiction. Et j’ai bien envie de pousser mon nouvel univers de fantasy de la même façon sous le nom de la Fédération des 4 Régions.

Si j’ai le temps, je vais participer ! Le concours est pour moi un vrai rendez-vous de créateur.ices et ça me pousse à forcément sortir quelque chose dans l’année. Et puis ce ne serait pas marrant si je ne venais pas remettre le titre en jeu !


Merci d’avoir répondu à nos questions ! Encore bravo, et bonne chance pour tes prochains projets !