Kesako

Ce sont deux termes du jargon de l’écriture. L’un signifie que l’on fait un plan avant d’écrire le texte de sa fiction interactive ; l’autre signifie qu’on se « laisse porter » par ce qu’il adviendra et se laisse surprendre par l’histoire qui se développe sous ses yeux.

Architectes : Ce sont ceux qui font des plans (ce qui peut ressembler à des vrais plans en fiction interactive), avant d’écrire la moindre petite ligne de contenu. Cela peut prendre plusieurs formes : des fiches de personnage, un travail sur le game design des énigmes en premier… En gros, l’idée c’est de préparer tout ce qu’on peut en avance. Et puis de se lancer dans l’écriture et d’avoir juste à suivre le plan et roule ma poule.

Jardiniers : Ce sont ceux qui cultivent leur jardin, un peu sauvage. Ils ne font pas de plans, et ils sont parfois surpris par ce qui arrive. Et du coup, pas forcément de fiches de personnage avant de commencer à écrire, et beaucoup plus de ressenti sur les personnages, le monde et l’action.

MéthodeAvantagesInconvénients
Architecte
  • Structuré
  • Peut avoir des énigmes sur le long terme
  • Moins de travail de correction ^^
  • Peut manquer de fluidité dans la rédaction
  • Manque de plaisir pour l’auteur
Jardinier
  • Organique (dans la rédaction)
  • Peut surprendre
  • Peut se prendre un mur
  • Demande un gros travail de correction
Exemple d’avantages et d’inconvénients des deux méthodes, de mon point de vue (jardinière 75 %, architecte 25 %)

Bien sûr, le tableau ci-dessus ne présente que des exemples. Il est aussi écrit par mon filtre personnel. Je suis majoritairement jardinière avec un côté architecte quand il y a besoin, mais je vais toujours faire en sorte de garder le côté jardinier fort, car c’est ce qui me motive à écrire.

Si vous êtes intéressé par le sujet, je vous propose d’aller chercher sur l’écriture « traditionnelle ». Ici, je serais plus intéressée sur le sujet pour l’écriture de fiction interactive. Et c’est ce que je vous propose d’aller explorer dans la seconde partie.

Architecte de fiction interactive

Dans le cas de la fiction interactive, être architecte implique de vouloir coder tout un framework avant de commencer à écrire la première ligne de code du jeu. Non, je plaisante, ça c’est un défaut personnel. Être architecte va plutôt être une histoire de faire ses fiches de personnages pour les PNJ ; de mettre au point les énigmes avant d’écrire le premier mot ; d’avoir un plan des lieux où l’aventure se passe ; de faire ses recherches sur la société dans laquelle ça se passe.

Tout ça avant d’avoir écrit la première ligne de ce que le joueur lira. Cela a un immense travers (de mon point de vue) : encore plus que pour l’écriture « traditionnelle », le joueur a un immense choix de ce qu’il verra ou non de votre monde.

Faut-il savoir précisément à tout moment que la viande qu’il a dans son assiette au resto vient de cette ferme à bétail, alimenté en foin par cette autre ferme à cent cinquante kilomètres, ce qui par beau temps prend une heure, et consomme tant de gasoil… Où s’arrêter de créer le monde ? Quand commencer à écrire et à produire le jeu lui-même ?

Pour autant, comme toujours avec l’écriture en mode structuré, cela a un immense avantage. Cela rassure ; les recherches et la documentation sont déjà faites quand on écrit ; on a juste à suivre le plan.

En fiction interactive, c’est encore plus intéressant car, avant de commencer à écrire, on peut se concentrer sur certains points :

  • Quelles sont les énigmes que le joueur va devoir résoudre, et comment les intégrer au monde lui-même ?
  • Quels sont les gros choix (ou les dilemmes) auxquels on veut que le joueur ait à faire face ?

Ces points vont certainement changer le style d’écriture et le focus d’écriture de plusieurs scènes. Il semble intéressant de savoir avant de commencer à écrire de quoi on veut parler, non ?

Bien, ça parait intéressant. Pour faire une bonne fiction interactive, faut se limiter dans les recherches qu’on fait, et écrire une fois qu’on a fait toutes nos préparations ? Facile, non ? En fait… c’est pas si simple. Intéressons-nous au second choix.

Jardinier de fiction interactive

La plupart des jardiniers en écriture vous le diront. Ce qui est le plus embêtant dans la préparation rigoureuse de l’architecte, c’est que ça enlève le plaisir de la découverte au fil de la plume.

Il y a quelque chose, comme j’ai écrit plus haut dans le tableau, d’organique à écrire la découverte comme si on était le lecteur la découvrant. Un liant d’histoire qui lie tout ça ensemble. Parce que c’est écrit d’un bloc, parce que si l’auteur n’a pas de plan à suivre, le plan est dans sa tête, et l’auteur a besoin de savoir tout ce qui se passe dans le monde à ce moment-là. Et c’est paradoxalement quand l’auteur a tout dans sa tête que les liens les plus improbables se font (ça c’est ma théorie). Ces liens donnent une nouvelle dimension à l’histoire, au monde, aux actions que le joueur peut faire dans l’univers.

Cela a aussi un autre avantage : vous vous souvenez de ce que j’ai écrit sur « quand savoir s’arrêter dans les recherches ? » Eh bien, c’est un problème que vous n’avez plus du tout :

  • Vous démarrez l’écriture dans l’intro du jeu, quand on présente la situation initiale. Vous découvrez en même temps que le joueur les enjeux et les problématiques du jeu.
  • Vous explorez les possibilités depuis l’endroit où le joueur se trouve pour créer le monde.

Vous voyez où je veux en venir ? Ce sont des itérations beaucoup plus courtes de votre jeu. Bien sûr, il n’est pas « fini », mais pour autant il y a déjà un feeling de jeu, et ce après avoir beaucoup moins d’heures au compteur que par l’approche structurée de l’architecte. Un genre de prologue quoi… C’est encourageant et rassurant.

En somme, c’est quoi le meilleur ?

Ehhh oui, j’ai dit « rassurant » pour les deux techniques. Parce que, scoop important, aucune des deux techniques n’est meilleure que l’autre. Cela dépend de tout un chacun, et surtout du projet que vous avez commencé. De la facilité avec laquelle vous voyez/sentez votre intrigue de jeu.

Ce qui est par contre certain, c’est que du ressenti des personnes sur notre Discord (oui, j’ai pas honte, j’ai pompé sur votre ressenti, les gens !) qui se sont demandé si on pouvait écrire au fil de l’eau une fiction interactive, la réponse a été OUI. Oui, c’est possible. Est-ce que plonger dans l’écriture d’une fiction interactive directement est la meilleure idée ? Pas forcément. Certains expliquent qu’ils ont besoin d’avoir une vision claire avant de commencer. De savoir quelle est l’intention « ludonarrative ».

Une autre idée est remontée lors de la discussion : est-ce que l’un des deux se prête plus à l’écriture au fil de l’eau : FI à parser ou FI hypertexte ? Et qu’est-ce que ça change ? Je ne suis pas experte en fiction à parser, alors je vais juste me reposer sur ce que d’autres qui pratiquent pensent.

Fiction interactive à parser

Écrire au fil de l’eau semble « facile » car une partie du world building est directement là. Faire un plan et s’y tenir, ça fait tout aussi sens, parce que faire ses recherches en premier, c’est pas idiot non plus.

Écrire une fausse transcription (les commandes et les réponses d’une session de jeu) permet aussi d’avoir une idée au fil de l’eau et d’écrire. Quitte à passer du temps plus tard pour reprendre et formater tous les éléments en les « codant » aux bons endroits.

Notre article à propos de « Make IF Fast » explique la technique pour démarrer en trombe un projet de fiction à parser grâce à une fausse transcription, je vous invite à aller le lire.

Fiction interactive hypertexte

Au final ce n’est pas si différent. Pour écrire au fil de l’eau une fiction à hypertexte (par exemple en ink), il suffit d’écrire le premier chemin qui nous vient. J’utilise personnellement des commentaires « TODO » (à faire) ou « FIXME » (à corriger), parce que c’est habituel pour moi.

Je vais écrire le paragraphe d’introduction, et un choix. Là, ça va être facile d’avoir plusieurs idées de choix. Je les écris (les choix), mais je ne détaille pas ce qui s’y passe (si le joueur le prend), cela se fera à la seconde itération. Pour cette première itération, je suis un chemin particulier. Par contre, à chaque branche laissée sans suite, je fourre un gros TODO ou FIXME, qui me permettra de les retrouver facilement plus tard. Quand je suis arrivée à la fin de ma branche, jusqu’à un état stable (rarement la toute fin que j’ai prévu mais plus un resserrement de l’histoire), je reprends un des choix que je n’ai pas fait qui manque, et je suis repartie. Je ne fais pas tellement plus de recherches avant de définir dans les super grandes lignes quelle va être l’intrigue (une histoire romantique, une aventure mystérieuse, un truc pieuvre avec des fins complètement différentes…) mais je ne sais rien de spécifique sur le monde, ou sur les autres personnages avant de me lancer dans l’écriture. Je découvre le love-interest en écrivant l’histoire où le joueur finit avec le beau gosse, et après je reviens en arrière et, ayant découvert que c’est un farceur, je vais ajouter plusieurs blagues qui tournent plus ou moins bien suivant le niveau de relation avec le joueur. Mais avant d’écrire, je n’avais aucune idée qu’il était un blagueur.

Une autre variation de cette technique est l’utilisation d’une logique défensive. Écrire un premier jet très rapide, puis prendre chaque unité logique (scène) et les passer au crible de cette logique défensive : est-ce qu’elle peut être lu sans tel autre passage ? Ou que ce passe-t-il si elle est lue après tel autre passage ? Cela permet de « solidifier » chacune des scènes, individuellement.

Structures particulières et conclusion

Une autre remarque est sur le type d’histoire. Sur une histoire « décousue » de type narramiette, peu importe ce qui a été défini dans telle autre scène. Improviser pour la miette A n’empiète qu’un tout petit peu sur la miette B, qu’elle ait été écrite avant ou après.

Dans la même idée, si c’est une fiction très linéaire, cela peut être plus simple de faire au fil de l’eau, ou au contraire de suivre un plan.

Plusieurs sont de l’avis (moi y compris) que cela dépend aussi de la taille du projet. Autant une fiction qu’on joue et qu’on finit en quelques minutes ne nécessite pas des heures de recherches et de plans, autant un projet plus long et plus complexe peut le demander pour tenir debout.

Bref, tout ça pour dire que tout dépend de votre manière de travailler et de votre projet. Expérimentez, testez, apprenez, et écrivez/codez des jeux interactifs. Ou venez sur notre Discord pour en discuter avec nous dans le salon #conception-design.

Et vous, quel est votre avis sur le sujet ? L’un est-il plus facile que l’autre ? L’un est-il plus pratique que l’autre ?