Le jeu mobile est un univers très à part, avec des contraintes de formats, et un public très différent comparé aux autres plates-formes. Néanmoins, on peut apprendre beaucoup sur la conception de FI grâce à eux !

Cette semaine, je vous propose une note de visionnage d’une conférence de Cassie Phillipps, Creative Manager pour Episode, de loin l’application de fiction interactive la plus populaire sur mobile, avec plusieurs millions d’utilisateurs actifs.

Vous trouverez la captation originale à la fin de l’article !

Première diapositive de la conférence de Cassie Phillips.

Avec son expérience et une grande quantité de statistiques utilisateur, nous allons étudier ensemble comment ils approchent la conception de leurs histoires.

Et même si vous ne faites pas de jeux mobiles, ou que vous n’aimez pas ça, il y a de très bonnes choses à apprendre. 🙂

Le premier piège quand on veut concevoir une FI

Lorsque l’on veut que notre lecteur puisse avoir beaucoup d’impact sur l’histoire, il est facile de vouloir écrire beaucoup d’embranchements, de choix aux conséquences complexes, et bien sûr de nombreuses fins différentes.

Même si l’intention est bonne (après tout, qui se plaindrait d’un jeu qui offre un grand nombre de possibilités ?), on rencontre très vite des problèmes avec cette approche.

En premier lieu, il devient très vite difficile de tenir ses délais et un budget raisonnable quand la complexité du projet grandit de manière exponentielle.

Mais en plus de cela, un choix qui change radicalement l’histoire n’aura pas forcément d’effet sur le joueur s’il n’a pas conscience des conséquences qu’il provoque.

Et c’est là toute la problématique de la conférence :

Comment faire des choix efficaces, ayant un impact sur le joueur (et pas seulement l’histoire) ?

Pour ça, il faut être malin et rechercher ce qui provoque le plus d’effet sur les joueurs ; qu’est-ce qui rend la fiction interactive si satisfaisante à jouer ?

Les quatre facettes d’une histoire à embranchements

Ici, nous allons découper une fiction interactive en quatre éléments principaux :

Diapositive énonçant les 4 facettes d'une histoire à embranchements.
  • Les choix ;
  • Les dialogues ;
  • L’histoire ;
  • Les embranchements ;

Notez qu’on fait bien ici la distinction entre choix et embranchement

Les choix sont tous les moments où le joueur prend une décision, un choix de dialogue ou d’action, tandis que les embranchements vont être le résultat de choix qui vont avoir un plus grand impact sur l’histoire (ce qui n’est pas toujours le cas).

Plus précisément, on définit ici un embranchement avec les critères suivants :

  • C’est un changement qui va avoir un impact sur beaucoup de scènes.
  • C’est une manière unique d’arriver à un même but (il n’offre ainsi pas forcément une fin différente).
  • C’est quelque chose qui peut être évoqué plus tard (c’est donc un moment mémorable).
  • Il ne doit pas être totalement déconnecté de l’histoire globale.

On utilise souvent choix et embranchement de manière interchangeable, c’est pour cela que je préfère clarifier la nuance !

Cassie Phillips demande ensuite à l’audience : parmi les quatre éléments sus-cités, lequel est le plus important lors de la conception ?

(je vous encourage à réfléchir à votre réponse avant de lire celle de la conférencière 🙂 )




Pour elle, l’histoire est l’élément le plus important. Une histoire captivante va faire beaucoup plus réagir les joueurs, tandis qu’une histoire bancale ne peut pas être sauvée par de nombreux embranchements.

Elle conseille ainsi de commencer par l’histoire, d’avoir une bonne idée du déroulé des événements avant de passer à l’étape suivante : les embranchements.

Est-ce que les embranchements sont aussi importants ?

Statistiques à l’appui, on constate que la quantité d’embranchements n’augmente pas forcément la rejouabilité.

Quel que soit le jeu, il est peu fréquent que les joueurs y rejouent une fois terminé.

Il ne s’agit bien sûr pas de dire que l’on ne doit pas faire d’embranchements dans l’histoire, mais que l’on doit penser son jeu pour que le joueur passe un bon moment dès la première partie.

Diapositive montrant le nombre de gens rejouant à des histoires sélectionnées, montrant qu'un grand nombre d'embranchements ne signifie pas que l'histoire est très rejouée.

Selon leur expérience, Episode a constaté qu’une bonne histoire et de bonnes interactions avec les personnages (où l’on construit une relation) sont les facteurs qui encouragent le plus la rejouabilité.

Comment et où trouver les embranchements de son histoire ?

Il y a plusieurs indices qui peuvent vous aider à bien placer vos embranchements dans l’histoire.

Elle parle par exemple des « Story Room disagreement », ces moments où lors de la conception de l’histoire il y a un désaccord parmi les membres de l’équipe (ou avec vous-même si vous travaillez seul.e). L’histoire n’étant pas finie, ce n’est pas le moment d’écrire précisément l’embranchement, mais de noter qu’à ce moment-là de l’intrigue un embranchement se prêterait bien.

On peut également partir des conflits et des objectifs de l’histoire et revenir en arrière pour définir les différentes façons d’arriver à une scène-clé dans l’intrigue. C’est là l’intérêt de ne pas avoir un scénario trop rigide à ce stade.

Il est important enfin qu’un embranchement se présente le plus tôt possible dans l’histoire. Cela permet de montrer au joueur qu’il va avoir de l’impact sur l’histoire (même quand ce n’est pas vraiment le cas).

En termes de fréquence, elle conseille de présenter un embranchement au joueur toutes les 20 à 30 minutes de jeu, afin de garder le joueur attentif.

Là encore c’est une métrique qui doit s’adapter à votre projet, mais il peut être intéressant de placer des choix importants à intervalles réguliers pour être sûr de ne pas perdre le lecteur.

Attention, on s’occupe bien ici des embranchements et non des choix ! Ceux-ci viendront s’ajouter à l’étape suivante.

Comment placer les choix dans son histoire ?

Se fondant toujours sur des statistiques, Cassie Phillips nous clarifie que les choix sont très importants pour garder l’attention du joueur.

Elle considère une fréquence d’un choix par minute/minute et demi très efficace lors des playtests. Mais bien sûr il n’y a pas de solution parfaite pour tout le monde ; et il vaut mieux avoir quelques bons choix plutôt que beaucoup de choix médiocres (tout cela encore une fois basé sur les statistiques d’Episode).

Diapositive montrant le nombre de joueurs qui continue de jouer à chaque chapitre selon la quantité de choix donnés aux joueurs.

Les choix peuvent être placés facilement lorsque le personnage joueur doit réagir à une situation, où qu’un personnage leur pose une question.

Vous pouvez d’ailleurs faire une recherche dans votre manuscrit de tous les points d’interrogation, et il y a des chances que vous trouviez ainsi toutes les fois où un personnage pose une question au personnage-joueur.

Un bon moyen d’utiliser les choix est de permettre au joueur de personnaliser leur expérience : c’est ce qu’on appelle les choix cosmétiques, ou le fluff.

Ce peut être des options de dialogues, mais aussi des choix ayant un effet sur l’esthétique du jeu : la tenue de l’avatar, certains objets ou décors… des choix qui ainsi n’affectent pas l’histoire, mais attachent le joueur à l’univers.

Comment reconnaître un mauvais choix ?

Il y a de nombreuses manières de perdre le joueur avec un mauvais choix ; en voici quelques-unes.

Les choix sans conséquences claires, vagues

Si le joueur ne peut pas voir de différence réelle entre plusieures options, il ne va pas vraiment s’investir dans leur conséquence. L’exemple un peu extrême, mais parlant, que l’on peut donner est par exemple : « Voulez-vous aller à droite ou à gauche ? »

Aucun élément ne permet de départager les deux choix. Si en choisissant au hasard on tombe sur une conséquence négative, cela paraît injuste, tandis qu’une conséquence positive ne sera pas entièrement satisfaisante.

Les choix avec une réponse évidente ou sans nuances

Dans la même idée, on peut éviter les interrogations totales, c’est-à-dire les questions qui peuvent être répondues par oui, non ou peut-être. Il y aura souvent une réponse évidente que tous les joueurs vont choisir, et ajouter de la nuance rendrait le choix beaucoup plus intéressant.

Pour répondre à ce problème, Cassie Philips propose un idéal de 3 options ou plus pour chaque choix : cela permet de se forcer à penser à plus de conséquences et de nuances. Et s’il vous est trop difficile d’en trouver plus de deux, c’est que le choix n’est probablement pas bon à la base. (C’est sûrement mon conseil préféré de la conférence !)

Les faux choix

Les faux choix sont également à éviter : ce sont les fois où le personnage ignore ce qu’a choisi le joueur en changeant d’avis. Le jeu refuse quelque chose au joueur, ce qui peut être très frustrant.

C’est un peu comme en jeu de rôle, quand un meneur de jeu interdit une action des joueurs pour une raison un peu bateau : à la fin ça met tout le monde de mauvaise humeur.

Les choix peu clairs, trompeurs ou ambigus

C’est quand une réponse peut avoir plusieurs sens dans le contexte, ou alors être interprétée de manière totalement différente en fonction du ton employé.

On a par exemple tout vécu en tant que joueur ces moments où son personnage prononce beaucoup trop agressivement une réponse, alors qu’on la pensait banale ou plutôt neutre.

Faire des séances de bêta-test sont très utiles pour détecter ces choix !

Qu’est-ce qui fait qu’un choix sans embranchement ait un impact pour le lecteur ?

Une première méthode pour rendre un choix impactant est de pouvoir y faire allusion par la suite ; notamment quand il concerne les relations qu’on a avec un personnage. Attention, ici on ne parle pas d’embranchement ; les conséquences se limitent à quelques lignes de dialogue à chaque fois.

Un personnage peut par exemple, lors d’un conflit avec le joueur, évoquer un passage précédent où le joueur n’a pas été sympa avec lui ; même si le conflit serait arrivé de toute façon, ce petit ajout rend l’univers plus cohérent, ce qui est très satisfaisant.

Réagir immédiatement au choix est aussi très important : même dans le cas où il n’a aucune conséquence, ou une conséquence seulement plusieurs chapitres plus tard, répondre au choix du joueur par quelques lignes de narration spécifiques permet de donner l’impression qu’il a bien été pris en compte par le jeu.

Au final, un choix semble impactant pour le joueur quand il sait qu’il a bien été entendu par le jeu et son monde.

Même dans une histoire aux multiples embranchements, il n’aura pas l’impression d’avoir un impact sur l’histoire si la relation de causalité entre ses choix et leurs conséquences n’est pas claire.

Conclusion

Merci d’avoir lu jusqu’au bout !

Voici pour résumer les points principaux à retenir de cette conférence :

Diapositive énumérant les points à retenir.
  • Ne pas ajouter d’embranchement avant d’avoir une bonne histoire.
  • Ne pas ajouter de choix avant d’avoir un bon manuscrit.
  • Tous les choix doivent avoir un sens clair, des objectifs, et des conséquences.
  • Réagir immédiatement aux choix du joueur.
  • Ne jamais dire non au joueur (surtout quand il exprime une voie qui lui a été proposée).

Comme d’habitude, je vous encourage chaudement à aller visionner cette conférence en entier : il y a beaucoup de détails et d’exemples intéressants que j’ai laissés de côté par souci de clarté.

Merci beaucoup pour votre soutien ; et à bientôt sur Fiction-interactive.fr !