C’est la rentrée, on prépare son cartable et après un été qui, on l’espère, a été narrativement satisfaisant pour vous, et qui a été en tout cas riche en sorties et nouveautés ; il est l’heure d’affuter ses outils. Des outils justement, il en est sorti tout un tas ces derniers mois, certains seulement à l’état de prototypes, d’autres beaucoup plus aboutis, des foutraques et des innovants. On passe en revue rapide ceux qui ont le plus attiré notre attention. Tous permettent de raconter des histoires simples ou plus complexes, tous tentent quelque chose de différent.

Jupiter Engine

Créé par le collectif Domino Club, le Jupiter engine prend le parti de raconter ses histoires à travers une succession de popups et de liens. Musique, image, et surtout texte sont présentés dans de petites fenêtres que l’on peut réorganiser sur l’espace de l’écran. Des liens en ouvrent de nouvelles, que l’on peut lire puis fermer. Un système d’évènements permet de déclencher des apparitions dans des fenêtres antérieures : exemple dans le jeu SSSM : In the shadow of Jupiter, où le popup initial figure une boîte de réception courriel. Au niveau plus macro, la narration est rythmée par un système de chapitres qui réinitialise l’espace de travail.

Peu documenté pour le moment de part sa volonté expérimentale, l’auteur devra toucher au HTML et au JavaScript directement dans la source de son jeu.

Elm Story

Les développeurs d’Elm Story font le pari de l’accessibilité au plus grand nombre : en proposant une application téléchargeable et ergonomique, ils permettent aux concepteurs et conceptrices de jeu de créer autant à la souris qu’au clavier.

Très inspiré par Twine (on crée des cases, on les relie), Elm s’en différencie cependant en offrant une très large gamme de concepts prédéfinis et notamment un créateur de personnages hyper complet (infos basiques, mais aussi genre, tempérament, images en fonction de l’humeur, etc.).

Une fois exporté (le jeu est publiable pour le web), l’interface jouable consiste en une succession classique de texte agrémenté d’images, de dialogues, et de choix comme on peut avoir l’habitude d’en voir avec ink ou ChoiceScript. Le rendu, très élégant par défaut, nécessitera des connaissances avancées pour être vraiment personnalisé.

Folia

Folia est un moteur minimaliste, écrit en Lua et qui nécessite de savoir écrire en Lua, un langage de scripting très simple. L’interface du rendu est spartiate : sur la gauche, une image qui évolue en fonction de l’histoire qui est racontée ; sur la droite, du texte brut et des liens.

La force de Folia est aussi sa faiblesse : la liberté offerte par le langage Lua qui est directement écrit et interprété nécessite sa maîtrise dès que l’on cherche à s’écarter du plus simple des chemins ; à l’inverse, ajouter sons, effets et logique complexe sont un jeu d’enfant si l’on en a les bases. On le préfèrera donc plutôt pour des applications prototypes et à réserver aux initiés.

Histoire à déplier

Jason Shiga adore le papier, et l’outil qu’il propose est physique : une simple feuille de papier à découper et à plier pour faire une bande-dessinée interactive à 3 choix.

Il est le créateur de la bande dessinée interactive Meanwhile qui a ensuite été adaptée en numérique : si le sujet vous intéresse dans sa globalité, nous avons un article à propos de la bande dessinée numérique.

Facile à fabriquer, c’est un outil vraiment formidable à utiliser en atelier d’initiation à l’écriture interactive, avec des enfants comme des adultes.

Engine.lol

Il faut se l’avouer, engine.lol est un peu moche au premier abord, mais c’est l’esthétique de notre époque. Faussement rétro avec un effet de balayage CRT sur toute la page, des images aux pixels qui bavent et une interface pas toujours très pratique (notamment dès qu’il s’agit de formater ou d’aligner du texte), c’est néanmoins un outil très pratique pour prototyper des pièces et expérimenter une géographie.

Et comme je suis sympa, je vous ai préparé une sauvegarde qui réplique le comportement de l’histoire à déplier ci-dessus !

Videotome / Videotome:ADV

Encore un outil issus de la nébuleuse Domino Club, Videotome prend résolument le parti de la linéarité et l’écrit clairement : « If you want to have choices or branching: this is not the engine for you. » (« Si vous voulez des choix et des embranchements : ce moteur n’est pas pour vous. ») On est ici dans le domaine du « roman cinétique » (kinetic novel), où le joueur déroule simplement l’histoire, sans avoir à faire de choix, l’interaction n’étant là que pour distiller dans le temps ce que l’auteur veut raconter.

Videotome:ADV est son successeur : plus d’images, plus de choix : on s’essaie là à ressembler à une catégorie de jeux (les ADV, à mi-chemin entre les visual novel et le jeu d’aventure) très populaire dans les années 90.

Leur conceptrice, Freya H. Campbell, connue sous le pseudo communistsister, est une narrative designer très prolifique : bitsy, ink, Twine, elle a tout essayé et les expériences qu’elle propose sont toujours innovantes, personnelles, à la frontière entre l’art et la performance ludique.

Downpour

Des images prises avec l’appareil photo de son téléphone, des zones cliquables pour les faire s’enchaîner, Downpour c’est aussi simple que ça. Attendu pour la fin de l’année 2022 (on y est, on trépigne d’impatience), le logiciel a déjà eu les honneurs de Polygon sous la catégorie « La prochaine génération : une célébration du futur ».

En attendant de pouvoir créer, on peut déjà se donner une idée des possibles en consultant les essais que v buckenham a mis en ligne sur son Twitter.

Ravel

Everest Pipkin est adepte du minimalisme le plus extrême : ravel, le moteur qu’iel propose ne repose que sur l’usage d’une seule et unique balise HTML standard : <details>.

0 code, 0 logique implémentée et pourtant la richesse est là, dans l’organisation même des briques narratives de ce qu’il veut nous raconter.

Bitsy/Bipsi/Binksi

On termine par les enfants prodigues de la nouvelle scène narrative : bitsy et ses descendants (bipsi, môsi…) sont passés en quelques mois d’idée farfelue (pouvoir fabriquer des jeux dans le bus) à phénomène de société jusqu’à avoir un article complet dans The Verge.

L’usage que l’on fait du moteur peut varier du RPG au jeu d’aventure en passant par l’action-plateforme, mais ce qui nous intéresse ici, ce sont les expériences narratives qu’il favorise. En effet, beaucoup de jeux à thèmes et connotations poétiques ont vu le jour à travers cette plate-forme accessible sans avoir besoin de coder. La plupart sont très courts (moins d’une demi-douzaine d’écrans), le texte est limité (on ne peut afficher que jusqu’à 3 ou 4 lignes de 30 caractères) mais l’impact est toujours fort.

Mais certains vont plus loin : toute une collection de « hacks » officiels étendent les capacités de base (couleur, musique) et binksi (bipsi avec une intégration ink ; disclaimer : j’en suis le créateur) permet de raconter des histoires beaucoup plus longues (un peu moins de 15 000 mots pour Cien años después, le gagnant du concours annuel espagnol, la Rayuela de Arena).

Accessible en création, comme en jeu, sur mobile, ne nécessitant aucune puissance de calcul (2 à 8 couleurs, peu/pas d’animation, une résolution limitée à 512 x 512), cela en fait l’outil de création de jeux vidéo démocratique par excellence.


Tous ces outils sont officiellement en anglais mais rien dans leur nature n’oblige à ce que les jeux créés le soient : venez partager vos expérimentations sur notre Discord et n’hésitez pas à nous mentionner sur Twitter pour que nous en fassions la promotion.

Voire, si vous êtes très satisfait, présenter un projet pour le concours annuel, tous ces outils sont éligibles ! (Bon, peut-être pas les feuilles de papier à déplier.)