Introduction

Vous étiez probablement peu à l’attendre et pourtant voilà le 5ème article de la série « politique et fiction interactive » ! J’y évoquerai un événement qui a dessiné très nettement des dissensions dans le milieu du jeu vidéo : le GamerGate. Dans cet article je résumerai les tenants et les aboutissants de cette période sombre de l’histoire vidéoludique dont on verra qu’elle a un lien direct avec les fictions interactives.

Au commencement était le Doritos.

Un accord commercial passé en 2012 entre les créateurs de Halo 4 et les marques Mountain Dew et Doritos provoque l’agacement du chroniqueur Robert Florence. Dans un article au vitriol qui paraît sur le site Eurogamer1, il attaque le journaliste Geoff Keighley, qui pose ostensiblement à côté de paquets de chips et de bouteilles de soda, et dénonce plus spécifiquement les liens étroits que les journalistes entretiennent avec les éditeurs de jeu, les studios influents et les grosses marques. Très rapidement, un flot de haine se dirige contre Geoff, qui devient la cible de nombreux posts haineux sur les réseaux sociaux, et les attaques ad hominem brouillent le réel enjeu de la polémique : l’indépendance de la presse. 

Dans la foulée, de nombreuses affaires sortent, révélant que beaucoup de journalistes assez complaisants avec des éditeurs sont parfois d’anciens employés ou d’actuels amis et n’hésitent pas à booster des tests, en censurer d’autres, et qu’il s’agit globalement d’un milieu d’entre-soi. En 2007 déjà, Jeff Gerstmann est licencié par GameSpot2 après avoir donné une note de 6/10 au jeu Kane & Lynch, ce licenciement ayant été fait sous la pression d’Eidos Interactive qui menace de retirer des revenus publicitaires à GameSpot si ces derniers n’agissent pas rapidement…

« Why Does This Exist ? »

Note : Je m’apprête à parler de Zoë Quinn qui est non-binaire, j’utiliserai donc le pronom « ielle » pour parler d’ellui. 

En 2013, Zoë Quinn développe Depression Quest, une fiction interactive en partie inspirée de sa vie et de ses difficultés personnelles – le nom du jeu étant relativement transparent quand à la thématique abordée. Le jeu reçoit des critiques positives de la part des médias spécialisés et des professionnels de la santé mentale, mais une partie des joueurs critique le fait qu’ielle inclut des éléments politiques dans son jeu. D’autres n’apprécient pas les fictions interactives à choix qu’ils considèrent comme trop simples, voire rétrogrades.

Ielle a une histoire avec Eron Gjoni qui met un terme à leur relation en août 2014 lorsqu’il découvre que Zoë a commis plusieurs infidélités avec des acteurs du milieu du jeu vidéo. Une situation triste mais plutôt banale en soit qui ne devrait a priori concerner que les deux intéressés. Sauf que Gjoni décide de publier un blog dont le premier article est nommé “Why Does This Exist”, dans lequel il expose ce qui a conduit à la rupture avec amples détails et à grand renfort de captures d’écrans. 

Ce blog est lu par plusieurs milliers de personnes, et tourne notamment sur 4chan, un forum anonyme anglophone peu recommandable3, dont la communauté se persuade – sans aucune preuve – que ces infidélités sont calculées. Ielle aurait séduit des gens afin d’obtenir de bonnes notes pour son jeu, pour avoir des relations favorables à sa carrière mais également pour corrompre l’industrie du jeu vidéo en imposant des thématiques “SJW” (Social Justice Warriors), c’est à dire privilégier la diversité et questionner les rôles de genre. J’évoque déjà ce sujet dans mon précédent article sur l’extrême droite.

Cette rumeur se répand rapidement sur la toile, elle est reprise par plusieurs YouTubers assez influents. De nombreux raids sont organisés depuis 4chan et ceux-ci déferlent sur les réseaux sociaux condensant insultes et menaces à l’encontre de Quinn. Une campagne méthodique de sape de son jeu est effectuée sur Steam, des avis négatifs sont publiés en masse. J’ai trouvé intéressant de sélectionner les commentaires qui visaient surtout le gameplay, je vous en livre ici un petit condensé (spoiler : ça porte pas vraiment en haute estime les FI dans ce coin là des internets…)

Zoë Quinn devient malgré ellui l’incarnation même de la corruption du monde du jeu vidéo. 

Ajustons à présent la focale spécifiquement sur le milieu de la fiction interactive.

Parser VS Jeux à choix : Généalogie sauvage d’un conflit larvé

Pour bien comprendre les tensions qui agiteront le milieu de la FI, je vais essayer de résumer les grands moments de l’histoire de la fiction interactive en me basant sur les travaux d’Emily Short à ce sujet4. Les premières FI créées au milieu des années 70 sont faites par des universitaires sur des gros ordinateurs et sont exclusivement des jeux textuels, les fameux parsers / analyseurs syntaxiques. À cette époque, il y a peu d’ordinateurs personnels et les limites techniques contraignent les créateurs.

Au début des années 80, les foyers peuvent progressivement avoir accès à du matériel informatique, les jeux sont assez difficiles et punitifs, notamment pour allonger leur durée de vie. Dans le seconde partie des années 80 ils se veulent plus accessibles et la narration commence à prendre une place importante. Internet se démocratise, quelques logiciels pour créer des fictions interactives sont distribués sur des forums, bien qu’ils restent – au début des années 90 – encore assez exigeants, et ne sont donc pas accessibles à un public profane. Une nouvelle école commence à émerger aux alentours de 19975 et l’IF Art Show6 achève de marquer un tournant dans l’approche théorique de la Fiction Interactive qui est envisagée sous le prisme de l’expérimentation et de l’art et plus uniquement comme une activité purement ludique. 

Enfin en 2007, Inform 7 voit le jour. Le logiciel permet à des utilisateurs de créer des jeux à commandes textuels beaucoup plus facilement, ce qui attire de nouveaux auteurs, mais qui provoque le mécontentement de nombreux autres : le nouvel outil est si facile à utiliser qu’il risque d’empoisonner le monde de la FI avec de nouvelles œuvres médiocres qui seront écrites par des auteurs amateurs et incompétents. Une fracture commence à se faire entre ceux qui veulent retourner à une sorte d’âge d’or de la FI, et ceux qui veulent continuer à explorer de nouvelles voies. 

Puis en 2010 vient la révolution Twine. Ce petit outil open source permet de créer des jeux hypertextes sans avoir de connaissances particulières en code, et très rapidement la communauté queer s’en empare comme d’un puissant outil d’expression.

Twine a une place centrale dans le discours queer : les créateurs les plus influents et des jeux les plus connus produits avec Twine déploient des récits centrés sur l’identité trans, la dysphorie, le coming out et le passage à l’âge adulte en tant que personne queer. Le jeu avec les pronoms, les corps, la monstruosité et l’érotisme est courant, en particulier dans les travaux de créateurs tels que Porpentine, Anna Anthropy, Christine Love et bien d’autres. (…) Twine est une plateforme enrichie par des histoires queer. Si nous devions définir un canon d’une FI Twine, il serait impossible de le faire sans inclure les récits de corps trans dans des science-fictions horrifiques, de romances entre cow-girls lesbiennes, de queers qui vivent une histoire d’amour sur fond de fin du monde.7

Le genre explose, et pour paraphraser Emily Short : c’est la déferlante de la vague hypertexte que la communauté FI a feint de ne pas voir pendant des années, mais qui est désormais tellement visible qu’il lui est à présent impossible de l’ignorer plus longtemps. La production est foisonnante et on peut s’en douter, ça grince des dents chez les anciens qui hésitent sur le fait d’accorder ou non le statut de fictions interactives à ces œuvres singulières et de manière générale sur la définition exacte de ce qu’est une fiction interactive. On trouve sur le forum de FI anglophone intfiction.org des débats passionnés à ce sujet :

“L’enjeu est de savoir si les jeux à choix multiples peuvent être placés aux côtés de la FI traditionnelle, et donc s’ils ont leur place dans ce forum, dans les activités de ce forum, dans les prix décernés par cette communauté. Il est peut-être temps de discuter de cette question en profondeur. Je ne sais pas si elle a déjà été abordée auparavant – si c’est le cas, c’était certainement il y a longtemps.”8

Mais est-ce qu’il s’agit réellement d’un nouveau débat ? Brian Rushton, plus connu sous le pseudo de MathBrush est un acteur emblématique de la fiction interactive, il est auteur de plus d’une vingtaine de jeux, et de plus de 3000 revues sur l’Interactive Fiction DataBase. À cette question il répond :

J’ai pensé qu’il pourrait être utile de fournir une liste des fois où cette conversation a eu lieu (avec des résultats variables au fil du temps). Ces discussions portent généralement sur la valeur de l’histoire dans les jeux par rapport à la narration, sur la ligne de démarcation entre les jeux d’analyse et les jeux de choix, etc. Ces discussions sont parfois enthousiastes, parfois agressives, mais leur contenu n’a pas vraiment changé au cours des 25 dernières années.

Voici la liste en question :

Cette liste continue encore, ayant été publiée en 2020, mais c’est en 2014 que se situe mon récit. C’est en ayant en tête ces deux éléments — l’arrivée fracassante de la communauté Twine qui réactive plus que jamais les discussions internes sur l’essence de la FI et le GamerGate — qu’on peut comprendre les tensions qui agitent le monde de la Fiction Interactive anglophone, dont l’apothéose peut-être située aux alentours d’octobre 2014, notamment avec la discussion intitulée…

“IF is dead”

L’IFComp est le plus gros concours de FI organisé chaque année, et en 2014, sur 42 jeux présentés à l’IFComp, 29 sont à choix multiples :

“Vous vous foutez de moi ! Seulement 13 jeux Inform, et pas de TADS9 ?!! Est-ce que c’est une IFComp ?
Je suppose qu’il est possible que l’un de ces jeux “Web” ait un bon parseur, mais je ne compte pas perdre du temps à regarder. La seule question que je me pose maintenant c’est si je mets une note de 1 à tous ces jeux qui ne sont pas des FI ou est-ce que je me contente de les ignorer.”

La discussion IF is dead a entraîné des conversations houleuses, qui montre une communauté divisée avec de grandes difficultés à se comprendre. On y parle de la distinction entre les jeux à choix et les parsers, mais on glisse rapidement vers des considérations beaucoup plus intéressantes et complexes, comme en témoigne ce post :

“Mon avis est que l’enjeu de la polémique “analyseur syntaxique contre le reste du monde” est une question de seuil d’apprentissage. J’ai un emploi qui requiert des compétences techniques le jour, et même mon petit ami m’a demandé pourquoi j’ai choisi d’utiliser Twine plutôt que de coder mon jeu en JavaScript, et la réponse c’est que Twine est plus facile. Mais contrairement à ce que laissent entendre certains des commentaires précédents, cela ne veut pas dire que le jeu est moins bon. Mon objectif était de raconter une histoire solide ; je ne voulais pas être bloqué par des problèmes de codage ou de style.

Le problème est que ce seuil est souvent utilisé pour exclure les membres minoritaires d’une communauté. Dire “Oh, votre jeu n’était pas aussi difficile à faire que celui de X, donc il doit être mauvais” – c’est le genre d’affirmation qui a été utilisée contre Zoe Quinn pendant le GamerGate et contre d’innombrables autres jeux dirigés par des femmes. Le problème n’est pas la déclaration elle-même, mais l’histoire de l’exclusion et, dans le cas du GamerGate, les abus commis à l’encontre des femmes, des transfuges, des minorités, etc.”

Il est difficile de distinguer les pro-GamerGate sincères et révoltés par le fonctionnement des lobbys du jeu vidéo de ceux qui profitent de cette médiatisation pour faire circuler leur idéologie toxique. Le fait de critiquer Twine est parfois vu comme une potentielle critique misogyne et les mots des divers camps, parfois durs, un peu maladroits, et souvent affectés sont interprétables et interprétés, certains propos provoquent des réactions épidermiques :

“Est-ce que tout ce que je dis ou publie va être examiné au microscope ? En voyant que cela arrive à d’autres – et je ne parle pas seulement d’ici – cela semble possible. Je veux dire, vous dites une chose, et maintenant vous êtes sur le radar de GamerGate, et qui sait ce qui pourrait arriver ? Si vous dites autre chose, vous êtes un misogyne ou, au mieux, un imbécile qui ne comprend pas (et ne peut peut-être pas comprendre) les choses d’un point de vue différent. Il semble que ces discussions se terminent systématiquement par le sentiment d’avoir été offensé…”

Comme souvent dans ce genre de situation, Emily Short intervient dans le débat à travers un post mesuré que j’ai décidé de retranscrire intégralement tant il me semble juste :

“Je comprends la perplexité quant à la raison pour laquelle les critiques adressées aux jeux basés sur le choix peuvent être considérées comme misogynes. Cependant, il y a un contexte plus large à cette discussion dont je suppose que certaines personnes ici ne sont pas conscientes.

Twine a été adopté par de nombreux créateurs qui se sentent exclus des structures de pouvoir traditionnelles de la création de jeux, en particulier les femmes, les auteurs queer et les personnes de couleur : dans certains cas, des personnes qui ne programment pas ou qui n’ont pas le temps et l’énergie de programmer ; souvent des personnes qui font face à des défis disproportionnés pour se faire embaucher dans l’industrie du jeu. La communauté traditionnelle du parser IF a toujours été composée d’hommes blancs, mais la communauté Twine a une composition différente, et pour certains auteurs Twine, c’est le seul contexte dans lequel ils sentent que leur voix peut être entendue.

Au cours des deux derniers mois, un certain nombre de développeuses de jeux et de femmes journalistes et/ou homosexuelles ont été la cible d’une campagne de harcèlement soutenue, voire criminelle, comprenant des menaces de viol et de mort, des attaques de piratage, la diffusion d’informations financières privées et de photos de nu, ainsi que des tentatives de les faire renvoyer de leur travail. Il y a là une histoire énorme et déprimante (vous pouvez googler GamerGate et passer toute la journée à lire si vous n’avez vraiment plus besoin de croire en l’humanité), mais au moins une partie de cette situation a consisté en des attaques organisées, ouvertement anti-féministes et anti-queer. Au centre de cette campagne se trouve Zoë Quinn, auteureuse de la fiction interactive Twine Depression Quest, et il y a eu une avalanche de discussions sur le fait que la fiction interactive – dans ce contexte, il s’agit de Twine, puisque notre coin d’Internet n’est généralement pas assez visible pour apparaître sur le radar – n’est pas un vrai jeu, et qu’elle fait partie de ce qui “ruine” les jeux. Un certain nombre d’auteurs de Twine ont été directement attaqués dans le processus. Plusieurs développeuses et journalistes appréciées ont quitté le domaine des jeux parce que cela ne valait plus la peine de faire face aux risques et aux attaques.

Il y a donc deux problèmes ici. Premièrement : pour ceux d’entre nous qui sont au courant de la situation du GamerGate, il y a quelque chose de très inconfortable qui rappelle cette situation dans le fait qu’un groupe de personnes dénonce les jeux à choix comme n’étant pas de la vraie FI alors que la grande majorité des jeux à choix soumis cette année sont en Twine. Ce n’est peut-être pas intentionnel, ce n’est peut-être pas quelque chose dont les auteurs de ces posts étaient conscients, mais ils font écho à des choses désagréables qui ont été dites ailleurs, et cela colore l’expérience de leur lecture.

Deuxièmement : même si aucune misogynie consciente n’est impliquée, l’effet pratique de l’exclusion par la communauté parser IF d’un afflux d’auteurs Twine est, entre autres, d’exclure des personnes dont la présence rendrait notre communauté plus équilibrée et diversifiée, des personnes qui ont été confrontées à de nombreuses exclusions par le passé. C’est une chose à laquelle nous devrions réfléchir un peu. D’après mon expérience, si l’industrie du jeu est si difficile pour les femmes, ce n’est pas parce que tout le monde est ouvertement sexiste (bien qu’il y ait certainement quelques personnes dans ce cas), mais parce qu’il y a beaucoup d’institutions et d’éléments d’infrastructure qui ont traditionnellement été centrés sur l’homme et au service de l’homme, et préserver le statu quo pour son propre bien signifie souvent aussi préserver une situation qui objective les femmes et parle d’elles. Il est facile de contribuer à cette situation par accident, même pour des personnes très bien intentionnées, même pour les femmes elles-mêmes. Mais le problème est réel. J’ai été totalement abasourdie par le niveau de sexisme fonctionnel lorsque je suis entrée dans l’industrie du jeu. Je n’arrivais pas à y croire. Je pensais qu’en tant que société, nous en avions fini avec ce genre de choses depuis la saison 5 de Mad Men. Mais non.

Donc, pour résumer, je ne dis pas que les personnes qui contribuent à ce projet ont l’intention d’être misogynes : je ne dis pas que quiconque contribuant à ce projet a l’intention d’être misogyne ; je ne dis pas que le fait d’être une femme est maintenant une raison de gagner tous les désaccords ; je ne traite personne de tous les noms. Je comprends le sentiment de perte si les jeux d’analyseurs disparaissent. Je dis cependant que cette conversation s’inscrit dans un contexte où les questions de genre et de pouvoir sont absolument en jeu, et que cela va affecter la façon dont les gens ressentent ce qui est dit.

Suite à ce thread avec 158 contributions durant le mois d’octobre 2014, un des modérateurs historiques renoncera à son poste, une charte et des règles de modérations seront mis en place, dénoncés par certains comme un frein à la liberté d’expression, parce que d’après eux, on ne peut plus rien dire sans risquer d’offenser les gens. Ces derniers quitteront le forum pour créer leur propre espace de discussion.

Et en France alors ?

En interrogeant un peu les vétérans de la communauté interactive française, l’adoption de Twine semble avoir été beaucoup plus facile ici, peut-être parce que la communauté FI étant moins nombreuse qu’aux États-Unis, l’arrivée de nouvelles forces vives est synonyme de renouveau plutôt que de conflictualité. Même si l’opposition parser/choix multiples a pu être débattue, cela s’est fait dans le calme et le GamerGate n’a pas vraiment provoqué de remous ici, peut-être parce qu’on voyait ça de loin, peut-être grâce à notre bienveillance, ou par souci d’éviter d’aborder des sujets clivants.

Gamergate et l’alt-right

Si au début certaines revendications pouvaient paraître légitimes, c’est à dire d’amener de l’éthique dans l’industrie du jeu vidéo, nombreux sont ceux qui ont sauté sur l’occasion pour régler leur compte avec d’autres groupes sociaux. Des dizaines de figures de l’extrême droite anglophone – raciste, sexiste, réactionnaire ou conspirationniste – sont apparus ou ont explosé en popularité avec le GamerGate. Par exemple Milo Yiannopoulos qui a fait beaucoup de commentaires sur la période du GamerGate, suffisamment pour se faire inviter à des conférences partout dans le monde. Il deviendra par la suite un grand soutien de Trump. Ce qu’il faut retenir c’est que le GamerGate a lentement muté pour devenir la base de l’alt-right américaine telle qu’on la connaît aujourd’hui10. Cette controverse a servi en quelque sorte de répétition pour la campagne de l’élection de Trump en 2016. Beaucoup de gens ont entendu les discours posant les bases de l’alt-right : le rejet du conservatisme classique, du féminisme, du multiculturalisme, l’acceptation du suprémacisme blanc, du sexisme, du conspirationniste, le tout sous couvert de liberté d’expression absolue pour contrer le politiquement correct. Les méthodes de recrutement, de harcèlement, la propagation de rumeur, l’occupation sur les réseaux sociaux par des bots, les campagnes de trolling, tout ça va être rodé lors du GamerGate pour être utilisé à plus grande échelle encore lors de la campagne pour Trump.

10 ans plus tard

En 2022, David DePape attaque Paul Pelosi avec un marteau et tente de kidnapper sa femme Nancy en raison de ses fonctions officielles en tant que présidente de la Chambre des représentants. Il dira au FBI avoir été radicalisé durant le GamerGate.11

Et depuis bientôt sept mois, un studio montréalais est au centre de ce qui est qualifié de “GamerGate 2.0”12: une vaste campagne de cyberharcèlement. Des dizaines de milliers d’internautes l’accusent de déployer une stratégie secrète woke dans les jeux vidéo pour lesquels l’équipe agit à titre de consultante. Ces dernières années, l’entreprise d’une quinzaine de membres a fourni ses services de consultation en scénarisation, en développement narratif et en lecture sensible à une poignée de studios de jeux vidéo.

Maude Bonenfant est chercheuse en jeux vidéo et l’édification à l’Université du Quebec à Montréal, et fait un parallèle sans appel :

Le Gamergate a aussi ouvert un débat sur ce qu’est un vrai jeu, puisque le titre à l’origine de la controverse portait sur la santé mentale. Un jeu vidéo sur la santé mentale ou qui met en avant davantage de représentativité sociale et de diversité, ça ne concorde pas, pour plusieurs, avec ce que devrait être un vrai jeu, indique la chercheuse.

Pour ces personnes, un vrai jeu vidéo correspond à une superproduction, comme un jeu de tirs, un jeu d’arène ou des jeux massivement multijoueurs. Il s’agit d’une vision plus pure et conservatrice, qui entre en opposition avec les autres joueurs et joueuses, qui sont accusés de ne pas comprendre ce qu’est un vrai jeu et qui essaient de le transformer, voire de le trahir.

Dans le cas de Sweet Baby Inc, comme de celui du mouvement d’il y a 10 ans, c’est à peu près le même discours. Ce que j’ai vu [avec la saga Sweet Baby Inc Detected], c’est beaucoup de déception des joueurs sur plusieurs jeux. On cherche un coupable, et c’est la faute des supposés wokes qui gâchent tout ce qui devrait être un jeu.”

Pour en savoir plus, je vous invite à lire cet article de The Verge.

merci à manonamora, Tabitha, stormi, Natrium729, hlabrande et filiaa pour leurs avis éclairés qui m’ont permis d’écrire cet article.

  1. http://www.eurogamer.net/articles/2012-10-24-lost-humanity-18-a-table-of-doritos ↩︎
  2. https://en.wikipedia.org/wiki/Kane_%26_Lynch:_Dead_Men#GameSpot_controversy ↩︎
  3. https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/recits-d-enquete/recits-d-enquete-chronique-du-samedi-13-avril-2024-1205010 ↩︎
  4. https://emshort.blog/2016/04/02/brief-bibliography-about-if-history/ ↩︎
  5. Hugo Labrande me précise à l’oreillette : “vers 1997 on a de gros débats sur Interstate Zero, puis dans les années suivantes Photopia (l’archétype du jeu artistique, 1998 je crois), Andrew Plotkin s’y met aussi avec The Space Under The Window et d’autres, Rameses fait beaucoup parler pour sa voix narrative très forte, et en 1999 c’est Aisle qui est une révolution. L’IF Art Show est plutôt un truc qui suit une tendance qui apparaît quelques années avant.” ↩︎
  6. https://intfiction.org/t/what-is-the-history-of-the-if-art-show/9604 ↩︎
  7. https://www.jstor.org/stable/10.3998/mpub.12255695.10?seq=1 ↩︎
  8. https://intfiction.org/t/cyoa-and-if/3568/45 ↩︎
  9. TADS = Text Adventure Development System – avant l’arrivée d’Inform, il s’agissait d’un des logiciels phares pour créer des Fictions Interactives à analyseur syntaxique. ↩︎
  10. https://www.lemonde.fr/pixels/article/2017/01/20/gamergate-8chan-alt-right-ces-communautes-en-ligne-qui-ont-servi-de-terreau-au-vote-trump_5065853_4408996.html ↩︎
  11. https://www.vice.com/en/article/xgwmdz/paul-pelosi-attacker-gamergate ↩︎
  12. https://ici.radio-canada.ca/info/long-format/2062257/studio-sweet-baby-inc-gamergate ↩︎