Bonne année, bonne rentrée, meilleurs vœux pour cette année scolaire ! On reprend nos articles hebdomadaires, pour votre plus grand bonheur ! Et retrouvez notre nouvelle page qui présente tous nos articles ici !

Pour reprendre, on va s’attaquer à un sujet très vaste, dont on ne fera sûrement pas le tour aujourd’hui : la fiction interactive sur mobile ! On n’avait pas encore écrit d’articles dessus, alors que le mobile est une part énorme du jeu vidéo (entre 30 et 40 % des revenus du jeu vidéo mondialement), et qu’il y a mine de rien des FI intéressantes et plutôt uniques. Alors, c’est parti !

Jeux avec analyseur syntaxique

Y’en n’a pas ! Allez hop, on passe à la suite !

Plus sérieusement, il y a quelques fictions interactives avec un parser sur mobile, mais très, très peu. On peut citer les jeux de Simon Christiansen (Death Off The Cuff, PataNoir), et bien sûr Hadean Lands, la FI de Andrew Plotkin qui fut aussi la première (si je ne m’abuse) à passer par Kickstarter (d’autres de ses jeux, comme The Dreamhold, sont aussi disponibles). Ces applications ne se contentent pas de mettre un fichier de jeu Inform dans un interpréteur et empaqueter le tout : il y a un travail réel sur le look de l’application, des onglets, etc., ce qui a dû prendre pas mal de temps et d’efforts. (Si vous souhaitez faire la même chose, ces personnes ont rendu disponible le code qu’ils ont utilisé, mais ça reste malgré tout assez compliqué.)

Capture d'écran de Hadean Lands sur iOS.
Hadean Lands sur iOS

Par contre, il y a des applications qui sont en fait des interpréteurs pour Z-machine, voire Glulx ou même TADS. On peut citer Frotz sur iOS, Fabularium (qui mérite son propre article et dont on reparlera très bientôt), Text Fiction (où les commandes et réponses sont présentées comme une application de messagerie), Hunky Punk, ZMPP sur Android. Avec des applications comme celles-là, vous pouvez jouer à des milliers de jeux à parser (les nôtres, par exemple) simplement en téléchargeant les fichiers de jeu et en les ouvrant avec l’application. Des milliers de jeux gratuitement !

Le problème, qui est général à toutes les fictions interactives avec parser sur mobile, est la taille de l’écran. En effet, ces jeux requièrent de vous que vous puissiez lire un paragraphe entier de texte et taper une commande sur le clavier : en général, on ne peut pas faire les deux, il n’y a pas la place ! C’est mieux sur tablette (il y a des joueurs qui ont joué à des centaines de jeux à parser sur des iPad), mais sur mobile, on se retrouve à devoir ouvrir et fermer le clavier en permanence (quand il ne s’ouvre pas tout seul par erreur), ce qui est assez frustrant. Pour pallier cela, de nombreux interpréteurs proposent des boutons pour les commandes récentes où communes et autorisent le joueur à toucher les mots dans le texte pour les ajouter à la commande. Cependant, les jeux sont parfois verbeux, et une petite police de caractères n’est pas vraiment lisible sur mobile…

Si vous voulez quand même essayer et pouvoir jouer à des milliers de jeux gratuits (dont une centaine en français) sur votre mobile, je vous recommande Frotz sur iOS. Pour Android, Fabularium, même si j’aime bien Text Fiction ; Hunky Punk est aussi un interpréteur connu et pas mal utilisé. Je vous mets des captures d’écran du même jeu pour que vous puissiez vous faire une idée !

Jeux à choix multiples

Les applications de jeu à choix multiples représentent 99 % des FI sur mobile. Elles sont de plusieurs types.

Applications standalone premium

Si vous avez l’habitude de jouer sur PC, vous avez l’habitude d’acheter un jeu : c’est exactement pareil. Les prix oscillent entre 2 et 5 € pour la plupart ; j’ai rarement vu un jeu plus cher que ça (à part les rééditions des Phoenix Wright à 25 €, mais là on est plutôt sur du visual novel).

Parmi les titres premium en français, on peut citer des jeux à choix multiples « classiques » comme Out There Chronicles, mais aussi des jeux qui exploitent plus les spécificités du mobile : par exemple, il y a une catégorie de jeux où l’interface ressemble à celle d’une application de messagerie et où l’interlocuteur prend parfois du temps pour répondre, comme Lifeline, Somewhere – The Vault Papers, Enterre-moi mon amour, Chroniric

Si vous lisez l’anglais, il y a aussi d’excellents jeux sur mobile. Il y a par exemple les jeux inkle, comme les Sorcery! (adaptation des livres dont vous êtes le héros Sorcellerie), ou 80 Days, qui a eu un énorme succès (à raison !) à sa sortie il y a quelques années ; il y a aussi les jeux de Choice of Games (je vous recommande personnellement Choice of Robots et Slammed!, mais il y en a pour tous les goûts). On peut aussi citer le très bon Open Sorcery, d’Abigail Corfman, ou encore Voyageur de Bruno Dias.

Capture d'écran d'Open Sorcery.
Open Sorcery

Il en existe sans doute beaucoup d’autres, mais ce sont juste ceux auxquels j’ai joué ! Donnez-nous d’autres jeux dans les commentaires !

Le problème pour ce genre de jeux est que, justement, les applications premium sur mobile ont bien moins de succès que les applications gratuites. Pire encore, les joueurs mobile se sont habitués à des applications gratuites, de sorte qu’ils peuvent se plaindre quand une application est payante ! Cela conduit certains développeurs à développer la stratégie suivante : faire en sorte que l’application soit gratuite sur le store, mais le jeu s’arrête au bout d’un moment, en mode « la version démo est finie, pour continuer achetez le jeu ! ». Cette stratégie a, il me semble, des taux d’achat plus importants (normal, la barrière d’entrée ne se dresse qu’une fois que vous commencez à voir que le jeu est cool), mais un inconvénient majeur : les joueurs se plaignent, et comme ils ont installé l’application, peuvent laisser un commentaire sur la page du jeu et faire baisser sa note…

Applications standalone gratuites

Il y a énormément d’applications qui proposent de la FI, en apparence gratuitement. Je dis en apparence, parce qu’il est difficile de savoir sans jouer au jeu quel schéma de monétisation a été adopté. Les jeux où l’application s’arrête et il faut payer pour débloquer le jeu complet sont dans la catégorie premium ; ici, on va couvrir les jeux où la monétisation se fait de façon plus subtile, potentiellement plus lucrative, voire parfois un peu moins éthique. Voici différentes catégories :

  • Il existe des applications qui sont 100 % gratuites ! On peut citer par exemple les visual novels Gacha Memories ou Everlasting Summer. Il me semble que ces jeux n’ont pas de publicités, et ont sans doute été réalisés par des équipes d’amateurs passionnés.
  • Il y en a d’autres (sans doute beaucoup plus) qui sont gratuits mais qui montrent une publicité de temps en temps ; par exemple, Lily’s Day Off vous fait regarder une publicité juste avant le dernier choix qui mène à une fin.
  • Ensuite, il y a des jeux qui sont gratuits, mais qui vous font payer pour avoir des histoires bonus (comme par exemple Scandale Amoureux) : dans ces jeux, vous ne payez que si vous voulez aller plus loin ou passer plus de temps avec les personnages.
  • Puis, il y a les jeux qui ralentissent votre progression artificiellement (5 choix par jour, une scène par jour, etc.), mais qui vous proposent d’aller plus vite si vous payez ou regardez des publicités (souvent avec un concept de « points d’énergie », de « gemmes », de « diamants », etc.). C’est le cas par exemple de City of Love: Paris, ou du Secret d’Henri. Si vous ne jouez que 5 minutes par jour dans le métro et que vous êtes patient, vous verrez l’histoire entière, mais étirée sur plusieurs mois.
  • Enfin, il y a une dernière catégorie qui semble assez populaire mais qui éthiquement me pose plus de problèmes : la monétisation qui intervient sur les choix que vous pouvez faire (exemple : Death Game). Concrètement, on vous propose des choix, mais certains ne sont pas accessibles à moins que vous ne soyez prêt à payer (sous forme de diamants, d’énergie, etc.). Et bien entendu, puisque le but est de vous faire payer, ce sont les « meilleurs » choix qui sont payants ; Emily Short mentionne par exemple des situations où les choix payants vous permettent de conclure avec un personnage (c’est le but, après tout), voire même de sauver un de vos amis d’une mort certaine ! Ce genre de stratégies où les joueurs gratuits ne voient que les pires routes me semble plus que douteux ; il me semble aussi que les joueurs plus jeunes, en particulier les ados, seront plus tentés et dépenseront plus d’argent, ce qui n’est pas très moral, même si c’est sans doute lucratif.

Vu qu’on parle choix et structure, je mentionne aussi un aspect intéressant qui figure dans l’article d’Emily Short : apparemment on trouve dans une conférence de la GDC donnée par une responsable de ce genre d’applications que les jeux proposent très peu de branches différentes et convergent assez rapidement vers la même histoire ; la raison invoquée est que, d’après leurs tests, les joueurs ne rejouent pas aux jeux pour tenter d’avoir une histoire différente. Est-ce quelque chose de plus général pour les fictions interactives ? Il ne me semble pas (les joueurs de VN semblent habitués à refaire le jeu pour atteindre une fin différente) ; c’est peut-être quelque chose de spécifique à leurs récits et à leur public.

Applications « catalogue »

Je voulais enfin mettre à part un type d’applications particulier, celui des « catalogues » ou « omnibus ». Ces applications sont souvent celles correspondant à un éditeur, qui ne fait que cette application ; d’un côté, cela veut dire que vous avez plus de facilité à vendre plus de jeux de votre « galaxie » et à retenir les joueurs qui ont joué à une histoire, mais d’un autre côté, je pense que c’est plus difficile quand l’application commence (peu de critiques sur les sites, masse critique de contenus à créer, peu de visibilité pour les histoires qui sortent du lot, etc.)

À noter par exemple qu’il y a aussi une histoire de politique des stores qui s’ajoute à ça (ou peut-être en réaction à ça). Il y a quelques années, l’Apple Store a interdit l’éditeur Choice of Games, qui fait des jeux à embranchements avec un nombre de mots équivalent à celui d’un roman voire plus, de proposer ses jeux dans des applications séparées, et les a forcés à avoir une seule application « catalogue ». La raison invoquée par Apple est qu’ils ne voulaient pas avoir tout un tas d’applications qui se ressemblaient – et oui, visuellement, toutes les applications de Choice of Games se ressemblent, mais vu la longueur c’est un peu comme si on disait que tous les livres se ressemblent. Cela étant, il y a sans doute des éditeurs qui proposent des jeux courts et très similaires et qui noient le Store sous les applications, donc ça peut peut-être se comprendre…

Ces applications catalogues ont des schémas de monétisation divers, mais en tout cas il me semble qu’il n’y en a pas de 100 % gratuits ; en même temps, qui irait proposer des dizaines d’histoires complètement gratuitement… Il n’y a que nous pour le faire !

Il y a, il me semble, essentiellement deux applications francophones sur le marché. La première est Adrénalivre, qui fonctionne avec un modèle qui propose des histoires gratuitement et certaines autres uniquement pour les abonnés, qui paient une petite somme tous les mois pour y avoir accès. La deuxième est Readiktion (pour lequel, je fais ma pub, j’ai écrit un récit, L’Affaire Colossi), qui propose uniquement des récits premium, mais ont recherché des partenariats qui sponsorisent l’application et permettent au lecteur, grâce à ces sponsors, de lire gratuitement. Cependant, notons que ces deux applications ont un public assez restreint pour l’instant, et n’ont pour l’heure pas vraiment réussi à décoller.

Capture d'écran de l'Affaire Colossi
Pub, sans vergogne !

Pour ce qui est des applications anglophones, il y en a tout un tas, qui semblent d’ailleurs très similaires, comme souvent sur mobile :

Capture d'écran du Play Store sur Android, montrant plusieurs FI à choix multiple avec des icônes similaires.
Plus il y a d’apps avec des icônes similaires, plus le genre marche…

On retrouve Choices, Episode, Chapters, Secrets, My Story, Heartbeat, etc. Les deux premières sont celles qui sont dans la critique d’Emily Short mentionnée ci-dessus ; toutes les deux utilisent le schéma de monétisation « les bons choix sont payants ». Notons que Dan Fabulich indique dans les commentaires qu’à l’époque de cette critique (2017), Choices et Episode étaient dans le top 50 des applications qui rapportent le plus d’argent. On parle sans doute de millions de dollars pour la fiction interactive, et oui ! Ces applications se ressemblent dans leur conception et leur format : des répliques courtes, une esthétique américaine (au contraire des VN) et qui lorgne vers le soap opera, un public jeune et féminin. De plus, vu que les récits sont dans un grand catalogue, il ne semble pas y en avoir qui surnagent ; je ne pense pas en particulier que les auteurs soient particulièrement mis en avant sur ces plateformes, ou touchent un intéressement sur les bénéfices, et sont plus là en tant que créateurs de contenu payés à la commande.


Cela conclut notre tour d’horizon pour aujourd’hui ! N’hésitez pas à nous dire dans les commentaires si j’ai oublié quelque chose ou si vous connaissez un jeu qui pourrait plaire à nos lecteurs !