La Game Developers Conference (GDC) est un événement annuel à destination des professionnels du jeu vidéo et se déroulant à Los Angeles. Elle est surtout connue pour ses conférences, dont certaines sont ensuite diffusées gratuitement sur Youtube ; si vous vous intéressez à quelque domaine que ce soit de cette industrie (visuel, écriture, marketing, technique) c’est une vraie mine d’or !

Il y a quelques mois, une conférence enregistrée en 2013 a particulièrement attiré mon attention : Visual Novels: Narrative Design in Virtue’s Last Reward ou en français : « Roman Visuel : Conception narrative de Virtue’s Last Reward ». Virtue’s Last Reward, abrégé VLR par commodité, est donc un visual novel japonais sorti sur 3DS et PSVita en 2012 ; il est la suite du jeu 999, Nine Hour, Nine Persons, Nine Doors, qui représente un vrai classique du genre ; les deux ont par la suite été rendus disponibles sur Steam. Je n’ai encore pu joué à aucun des deux, mais un ami à moi vous les recommande chaudement si vous aimez les thrillers psychologiques et bien écrits, et que vous lisez l’anglais accessoirement.

Pour ceux qui ne serait pas familier avec le terme, « visual novel » fait référence à un genre de fiction interactive japonaise, et par extension aux FI qui s’inspire de celles-ci. La majeur différence entre les FI occidentales est l’usage dominant de l’hypertexte ainsi que la place plus importante des illustrations. Mis à part pour des passages spécifiques, j’utiliserai les terme « visual novel » (VN) et « fiction interactive » (FI) de manière indifférenciée.

Après cette introduction, voici maintenant le résumé des points que j’ai trouvé pertinents dans cette conférence tenue par Kotaro Uchikoshi, réalisateur et écrivain de VLR !

Est-ce qu’une FI est un jeu vidéo?

Monsieur Kotaro tente en premier lieu de définir ce qu’est un visual novel, ce qui a déjà été fait de manière différente dans cet article ; article que je ne vous ferai pas l’affront de répéter.

Après avoir établi sa définition, il pose la question : Est-ce que les VN sont des jeux vidéo ?

Le débat ne fait pas rage dans la communauté francophone, c’est le moins qu’on puisse dire. Néanmoins, la question mérite d’être posée : certaines personnes sont convaincues que la réponse est négative, et auraient pu contester la présence du conférencier à la Game Developers Conference ; de même qu’il est fréquent de voir critiquer l’arrivée de visual novels, de FI ou de kinetic novels sur des plates-formes de distribution de jeux vidéo (comme Steam), ou une participation à des compétitions qui n’ont pas l’habitude de ce genre.

Au passage, en ce qui concerne la distribution de votre FI sur Steam ou itch.io, sachez que ces deux plateformes sont et se présentent comme des distributeurs de logiciels et de contenus numériques. Des bandes dessinées et des assets sont vendues sur itch.io, des documentaires et des logiciels, sur Steam. Il est totalement légitime de distribuer vos FI sur ces plates-formes, ne vous mettez pas de barrières !

Faisons un parallèle avec les sports. Que ce soit l’athlétisme, le foot ou la brasse, peu de gens hésiteraient à les définir comme des sports. Mais qu’en est-il des fléchettes, des courses de voiture, du golf et de la pêche ? Eh bien ils sont considérés comme sports également, car leur dénominateur commun est le fait de demander une bonne condition physique, pas l’intensité à laquelle elle est demandée. Ce sont donc des sports, bien qu’un peu à part.

Au même titre, les FI et VN sont une sorte de jeu un peu à part. Le dénominateur commun selon le conférencier est la sélectivité : que les actions (inputs) du joueur aient une influence sur les réponses (output) du jeu, sans qu’il y ait de minimum requis.

Utiliser le cerveau du joueur comme carte mémoire

Le thème du concours de fiction interactives de l’année dernière était « mémoire », et beaucoup d’idées très créatives en sont sorties ; notamment sur la manière dont le jeu gère sa mémoire, ses sauvegardes. Le jeu que je vais vous présenter ci-dessous aurait parfaitement eu sa place parmi ceux-là !

Dans un visual novel, où un jeu en hypertexte de manière générale, certaines variables (comprendre « données que retient le jeu ») sont utilisées pour se souvenir des choix du joueur sans pour autant que les répercussions soient immédiates : est-ce que l’explorateur a pris une lampe torche ou un sandwich avant de partir ? Est-ce que j’ai pensé à éteindre le gaz ? Ces variables, souvent binaire (Oui/Non), s’appellent communément des « flags ».

Si vous souhaitez en apprendre plus sur les variables dans les fictions interactives, notre cher Hugo a écrit un très bon article sur la question il y a quelques semaines, dans lequel il vous explique comment ces variables sont utilisées de manière très pratique.

Kamaitachi No Yoru (littéralement « La nuit de la faucille-belette », un titre bien japonais en somme) est un visual novel sorti uniquement au Japon en 1994 sur Super Nintendo, et il possède une particularité bien à lui : les flags qu’il utilise sont intégrés dans la tête du joueur !

Avant de vraiment expliquer ce que je veux dire par là, revenons au début.

Au début de chaque partie, le joueur arrive très vite après une introduction face à un choix : il doit deviner le nom du coupable d’un meurtre. Au début, il n’a clairement pas assez d’éléments pour choisir avec discernement, mais il doit choisir. Il donne donc un nom et, en fonction de celui-ci, il est emmené vers une certaine branche de l’histoire. Si le joueur a faux, il arrive sur une « route », une suite d’événements qui le mènera vers une mauvaise fin, avec plus de drames et de meurtres. Pourtant, le joueur récolte des indices durant ces mauvaises fins, indices qui lui permettent, au fur et à mesure qu’il se trompe, de reconstituer le puzzle et de trouver le nom correct, d’obtenir la bonne fin !

À chaque fois que le joueur recommence le jeu et doit deviner qui est le meurtrier, il a en sa possession plus d’informations que le personnage principal qu’il incarne ! Il aurait pu deviner dès le premier essai qui est le véritable coupable, sur un coup de chance ; mais c’est ça qui rend la démarche si intéressante.

Pour résumer, dans Kamaitachi No Yoru, la mémoire du jeu est dans celle du joueur.

La plupart des jeux d’aventures d’antan utilisaient la même méthode, les anciens vous diraient. Par exemple dans les jeux comme Zork, il était nécessaire de prendre des notes, et en particulier de tracer des cartes, afin de progressivement trouver le chemin à prendre vers la fin du jeu, ce qui soulageait la mémoire logicielle, qui était limitée. Mais au fur et à mesure que les ordinateurs et consoles ont gagné en capacité, la machine a pris le relais pour stocker les informations, ce qui a rendu le jeu d’aventure plus fun et accessibles pour beaucoup de gens.

Un autre point intéressant à retenir en tant que créateur : inspirez-vous de vos contraintes techniques ! Ici, c’était une taille mémoire limitée, mais ce peut être une résolution mobile peu familière, de maigres compétences graphiques, un manque de temps… Corax parle justement de son expérience en la matière, de comment il a utilisé ses contraintes lors de sa participation (gagnante !) du concours de FI de l’année dernière.

La plupart des visual novels utilisent ainsi des flags pour suivre et s’adapter à la progression du joueur. Dans un VN moderne, tel que Fate/stay night par exemple, le joueur doit passer par chacune des fins tragiques pour les valider auprès du jeu via des flags. Une fois cela fait, il débloque la vraie fin, la bonne en l’occurrence. Ce n’est pas une mauvaise chose en soi bien entendu, simplement que dans ce contexte Kamaitachi No Yoru paraît différent et frais dans son approche.

Et dans Virtue’s Last Reward ?

« On Ko Chi Shin » est un adage japonais qui signifie « étudier le passé pour découvrir de nouvelles choses ». C’est ce qu’a fait Kotaro Uchikoshi lors de la conception de Virtue’s Last Reward en étudiant Kamitachi No Yoru !

Dans VLR, le joueur se voit ainsi demander occasionnellement des mots de passe, pour accéder à un ordinateur ou désactiver une bombe. Ces mots de passe peuvent être récupérés par le joueur dans d’autres « routes », et lui permettent de continuer plus loin son aventure. Et le jeu n’utilise pas de flags lors de ces points : il vérifie juste que le mot de passe est bon, sans savoir comment le joueur l’a obtenu. Le joueur peut aussi aller voir sur des forums ou dans des guides stratégiques quel mot de passe il doit entrer ; cela pourrait être gênant, mais monsieur Kotaro trouve justement cela intéressant.

D’autres jeux auraient par exemple généré un mot de passe aléatoirement pour chaque joueur, pour éviter la triche, ou auraient simplement retiré la possibilité au joueur de taper un mot de passe, ne donnant accès à certaines informations et zones qu’une fois un flag validé.

Petite digression, et pour sortir de nos FI, on peut noter qu’Eidos avait une approche similaire avec la série Deus Ex ! Dans Deus Ex, ou dans Deus Ex: Human Revolution, les mots de passe sont toujours les mêmes, et sont découverts par le joueur au fur et à mesure de l’aventure via des documents et des dialogues. Mais rien ne l’empêche de hacker le système avec une compétence élevée, d’aller récupérer ces codes sur Internet ou d’utiliser les codes de vos parties précédentes, et ainsi d’accéder à des zones ou des informations plus tôt que ce que les développeurs avait prévu pour la plupart des joueurs.

Conclusage

Voici ce qui conclut ce résumé de conférence, et mon tout premier article sur Fiction-Interactive.fr !

Si vous souhaitez approfondir certains point et écouter l’intégralité de la source, voici ci-dessous la vidéo originale en anglais (et avec un son pas terrible).

C’est une conférence vraiment intéressante, bien que trop en surface ou vague sur certains points. Je vous recommande de l’écouter en entier si vous avez un peu moins d’une heure à lui accorder !

Tant que je vous tiens, n’oubliez pas que le concours de fiction interactive 2019 est en cours à l’heure où j’écris ces lignes ! Retrouvez toutes les informations sur cet évènement important de la communauté dans cet article !